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contes d’extrême-orient

Emporté par sa passion de veneur, Saïgo n’attend pas l’arrivée de son betto (écuyer, palefrenier), distancé par l’ardeur d’une jeune monture, et saute de selle. Mais un de ses sabres s’accroche au pommeau surélevé et lui fait faire une rude chute. Qu’importe ? Il se relève, court aux broussailles, les étreint par brassées, les arrache, et saisit la biche, encore pantelante, sur un lit de grosses pierres.

…Mais l’aspect de ces pierres le frappe. Elles n’ont pas la tournure de pointes fortuites ou d’éclats sporadiques. Dans la mousse verte, nourrie sur elles par l’ombre et l’humidité, des rides nettes, des bourrelets rectilignes se prolongent, ébauches d’un dessin oblitéré ou mailles d’une dentelle rompue d’idéogrammes…

Aussitôt, oubliant son fusil, son cheval, les contusions douloureuses de sa chute et la biche que les chiens déchirent déjà, le Grand Maréchal tire un des petits couteaux enfermés sur la gaine de ses sabres, et en quelques grattages adroits dégage une inscription, dont il reconnaît, du premier coup d’œil, l’antiquité immémoriale. Des caractères qui la constituaient, le plus grand nombre lui était absolument inconnus, et il savait bien être à peu près seul capable d’en comprendre quelques-uns :

« Guerrier » ; … « amour » ; … « le sang d’Amaterasou » ; … « révolte » ; … puis un idéogramme où le caractère qui signifie « femme » se trouvait allié à d’autres inintelligibles ; enfin le signe « sappoukou » (kara-kiri, suicide).

Le « betto » favori de son père lui avait, en sa prime jeunesse, enseigné les éléments de cette difficile épigraphie, et depuis il avait souvent trouvé et déchiffré quelqu’un de ces vieilles stèles, qu’on ne rencontre, au Japon, que dans la province de Satsouma. Elles avaient, à son insu, joué un rôle dans la formation de son esprit, et il lui était arrivé, après une de ces trouvailles, de tenir compte des suggestions de la page de pierre, comme s’il avait