Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/143

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

autour de cette goutte de sang. — Vous la ferez vendre aujourd’hui et vous en remettrez le montant aux mendiants qui passent devant la maison.

Joseph prit la bague, s’inclina de ce salut somnambulique dont il eut seul le secret et sortit pour faire avancer les voitures pendant que ces dames achevaient de rajuster leurs toilettes, s’enveloppaient de leurs longs dominos de satin noir et remettaient leurs masques.

Six heures sonnèrent.

— Un instant, dis-je en étendant le doigt vers la pendule : voici une heure qui nous rend tous un peu complices de la folie de cet homme. Donc, ayons plus d’indulgence pour elle. Ne sommes-nous pas, en ce moment même, implicitement, d’une barbarie à peu près aussi morne que la sienne ?

À ces mots, l’on resta debout, en grand silence.

Susannah me regarda sous son masque : j’eus la sensation d’une lueur d’acier. Elle détourna la tête et entr’ouvrit une fenêtre, très vite.

L’heure sonnait, au loin, à tous les clochers de Paris.

Au sixième coup, tout le monde tressaillit profondément, — et je regardai, pensif, la tête d’un démon de cuivre, aux traits crispés, qui soutenait, dans une patère, les flots sanglants des rideaux rouges.