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CONTES CRUELS

dans une petite ville. — Les mères de famille, ayant fait leurs emplettes, sont rentrées chacune chez soi. L’on a dîné. — La famille a passé au salon. C’est l’une de ces veillées sans visites, où, rassemblés autour de l’âtre, les parents somnolent un peu. La lampe est baissée, et l’abat-jour adoucit encore sa lumière. Les mèches des bonnets de soie noire dépassent, inclinées, les oreillards des fauteuils. Le loto, parfois si tragique, est suspendu ; le jeu de l’Oie, lui-même, est relégué dans le grand tiroir. La gazette gît aux pieds des dormeurs. Le vieil invité, disciple (tout bas) de Voltaire, digère paisiblement, plongé dans quelque moelleux crapaud. On n’entend que l’aiguille égale de la jeune fille piquant sa broderie auprès de la table et scandant ainsi la paisible respiration des auteurs de la sienne, le tout mesuré sur le tic-tac de la pendule. Bref, l’honnête salon bourgeois respire la quiétude bien acquise.

Doux tableaux de la famille, le Progrès, loin de vous exclure, vous rajeunit, comme un habile tapissier rénove des meubles d’antan !

Mais, ne nous attendrissons pas.

À quoi vont s’amuser, alors, les enfants, au lieu de faire du bruit et de réveiller les parents en courroux, avec leurs anciens jouets, — si tapageurs ! — Regardez ! — Les voici qui viennent, sur la pointe des pieds, on tip toe, en comprimant les frais éclats de leur fou rire inextinguible. — Chut !… Ils approchent, innocemment, de la bouche de leurs ascendants le petit Appareil du professeur Schneitzoëffer (junior) !