Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/219

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fitant des ombres, lui demanda quelque monnaie d’un ton péremptoire.

L’homme des Cloches, en sa panique, n’ayant pas reconnu le violoneux, s’exécuta gracieusement ; mais, de retour à Pibrac, il conta son aventure d’une telle sorte que, dans les imaginations enfiévrées par son récit, le pauvre ménétrier de Nayrac apparut comme une bande de brigands affamés infestant le Midi et désolant le grand chemin par leurs meurtres, leurs incendies et déprédations.

Sagaces, les bourgeois des deux villes avaient encouragé ces bruits, tant il est vrai que tout bon propriétaire est porté à exagérer les fautes des personnes qui font mine d’en vouloir à ses capitaux. Non point qu’ils en eussent été dupes ! Ils étaient allés aux sources. Ils avaient questionné le bedeau après boire. Le bedeau s’était coupé, — et ils savaient, maintenant, mieux que lui, le fin mot de l’affaire !… Toutefois, se gaussant de la crédulité des masses, nos dignes citadins gardaient le secret pour eux tout seuls, comme ils aiment à garder toutes les choses qu’ils tiennent : ténacité qui, d’ailleurs, est le signe distinctif des gens sensés et éclairés.

La mi-novembre suivante, dix heures de la nuit sonnant au beffroi de la Justice de Paix de Nayrac, chacun rentra dans son ménage d’un air plus crâne que de coutume et le chapeau, ma foi ! sur l’oreille, si bien que son épouse, lui sautant aux favoris, l’appela « mousquetaire », ce qui chatouilla doucement leurs cœurs réciproques.