Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/241

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avait beaucoup de Surville en ce moment-là… de Surville dans ses bons rôles, même. — Je me dis qu’il était sous le feu de l’inspiration et qu’il pouvait avoir du talent… un talent naissant… mais, enfin, là, quelque chose.

— Vite, m’écriai-je avec impatience, la situation ! Dis-moi la situation ! — Peut-être qu’en la creusant…

— La situation ? répondit Raoul en ouvrant de grands yeux, — mais elle est des plus simples. Hier matin, à mon arrivée à l’hôtel, je trouve une invitation qui m’y attendait, un bal pour le soir même, rue Saint-Honoré, chez madame de Fréville. — Je devais m’y rendre. Là, dans le cours de la fête (juge de ce qui a dû se passer !), je me suis vu contraint d’envoyer mon gant à la figure d’un monsieur, devant tout le monde.

Je compris qu’il me jouait la première scène de sa « machine ».

— Oh ! oh ! dis-je, comment amènes-tu cela ? — Oui, un début. Il y a là de la jeunesse, du feu ! — Mais la suite ? le motif ? l’agencement de la scène ? — l’idée du drame ? l’ensemble, enfin ? — À grands traits !… Va ! va !

— Il s’agissait d’une injure faite à ma mère, mon ami, — répondit Raoul, qui semblait ne pas écouter. — Ma Mère, — est-ce un motif suffisant ?

(Ici D*** s’interrompit, regardant les convives qui n’avaient pu s’empêcher de sourire à ces dernières paroles.)

— Vous souriez, messieurs ? dit-il. Moi aussi j’ai