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CONTES CRUELS

princier. Les lourds battants s’écartèrent. Un homme de trente à trente-cinq ans, en deuil, au visage mortellement pâle, descendit. Sur le perron, de taciturnes serviteurs élevaient des flambeaux. Sans les voir, il gravit les marches et entra. C’était le comte d’Athol.

Chancelant, il monta les blancs escaliers qui conduisaient à cette chambre où, le matin même, il avait couché dans un cercueil de velours et enveloppé de violettes, en des flots de batiste, sa dame de volupté, sa pâlissante épousée, Véra, son désespoir.

En haut, la douce porte tourna sur le tapis ; il souleva la tenture.

Tous les objets étaient à la place où la comtesse les avait laissés la veille. La Mort, subite, avait foudroyé. La nuit dernière, sa bien-aimée s’était évanouie en des joies si profondes, s’était perdue en de si exquises étreintes, que son cœur, brisé de délices, avait défailli : ses lèvres s’étaient brusquement mouillées d’une pourpre mortelle. À peine avait-elle eu le temps de donner à son époux un baiser d’adieu, en souriant, sans une parole : puis ses longs cils, comme des voiles de deuil, s’étaient abaissés sur la belle nuit de ses yeux.

La journée sans nom était passée.

Vers midi, le comte d’Athol, après l’affreuse cérémonie du caveau familial, avait congédié au cimetière la noire escorte. Puis, se renfermant, seul, avec l’ensevelie, entre les quatre murs de marbre, il avait tiré sur lui la porte de fer du mausolée. — De l’en-