Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/276

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au centre des fauteuils d’orchestre, un tout jeune homme, dont la physionomie exprimait une âme résolue et fière, — manifestait, brisant ses gants à force d’applaudir, l’admiration passionnée qu’il subissait.

Personne, dans le monde parisien, ne connaissait ce spectateur. Il n’avait pas l’air provincial, mais étranger. — En ses vêtements un peu neufs, mais d’un lustre éteint et d’une coupe irréprochable, assis dans ce fauteuil d’orchestre, il eût paru presque singulier, sans les instinctives et mystérieuses élégances qui ressortaient de toute sa personne. En l’examinant, on eût cherché autour de lui de l’espace, du ciel et de la solitude. C’était extraordinaire : mais Paris, n’est-ce pas la ville de l’Extraordinaire ?

Qui était-ce et d’où venait-il ?

C’était un adolescent sauvage, un orphelin seigneurial, — l’un des derniers de ce siècle, — un mélancolique châtelain du Nord échappé, depuis trois jours, de la nuit d’un manoir des Cornouailles.

Il s’appelait le comte Félicien de la Vierge ; il possédait le château de Blanchelande, en Basse-Bretagne. Une soif d’existence brûlante, une curiosité de notre merveilleux enfer, avait pris et enfiévré, tout à coup, ce chasseur, là-bas !… Il s’était mis en voyage, et il était là, tout simplement. Sa présence à Paris ne datait que du matin, de sorte que ses grands yeux étaient encore splendides.

C’était son premier soir de jeunesse ! Il avait vingt ans. C’était son entrée dans un monde de flamme, d’oubli, de banalités, d’or et de plaisirs. Et, par