Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/47

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de votre pain quotidien et l’huile de vos veilles ?

Eh bien, écoutez le colloque bizarre et d’apparence paradoxale, — (quoique du plus incontestable des réalismes), — qui s’est établi, récemment, entre un directeur certain de l’une de ces gazettes et l’un de nos amis, lequel s’était déguisé un jour, par curiosité, en aspirant journaliste.

Cette scène ayant l’air, en mon esprit, de se passer toujours, — et toutes autres, de ce genre, ne devant être, au fond, — tacites ou parlées, — que la monnaie de celle-là (l’éternelle !) — je me vois contraint, ô vous qui êtes prédestinés à la rénover vous-mêmes, de la placer au présent de l’indicatif.

Pénétrons en ce cabinet, presque toujours d’un si beau vert, où le directeur, — un de ces hommes qui traitent les honnêtes bourgeois de « matière abonnable », — est assis devant la table, un coude appuyé sur le bras de son fauteuil, le menton dans la main, paraissant méditer et jouant négligemment de l’autre main avec le traditionnel couteau d’ivoire.

Apparaît un garçon de salle : il remet une carte à ce penseur.

Celui-ci la prend, y jette un coup d’œil distrait, puis hausse d’inquiets sourcils et, après un tressaillement léger, se remettant :

— Un « Inconnu ? » murmure-t-il ; — peuh ! quelque Gascon, se vantant pour arriver jusqu’à moi. Tout le monde est connu, aujourd’hui, percé à jour. — Et quelle mine a ce monsieur ?

— C’est un jeune homme, monsieur.