Page:Villiers de L'Isle-Adam - Contes cruels.djvu/56

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pour ne pas effaroucher le lecteur ! Que diable, les gens n’aiment pas qu’on les humilie ! La puissance impressionnante de votre style naturel transparaît, encore un coup, sous cet effort même, attendu qu’il n’y a pas d’orthopédie capable de guérir d’un vice aussi essentiel, aussi rédhibitoire ! — Vous imprimer ? Mais j’aimerais mieux copier le Bottin ! Ce serait plus pratique. En un mot, vous avez l’air, là-dedans, d’un monsieur qui, sachant que telle femme, dont il convoite la dot, a le goût des bancroches, affecte une claudication mensongère pour se bien faire venir de la dame, — ou d’un étrange collégien qui, pour s’attirer l’estime et le respect de ses professeurs, de ses camarades, se ferait teindre les cheveux en blanc. — Monsieur, les quelques pages que je viens de parcourir me suffisent pour savoir très bien à qui j’ai affaire. — Personne n’est dupe aujourd’hui ! Le public a son instinct, son flair, aussi sûr que celui d’un animal. Il connaît les siens et ne se trompe jamais. Il vous devine. Il pressent que, sachant au mieux la valeur, la signification réelle et sombre de vos écrits, vous regardez son appréciation, éloge ou blâme, comme la poudre de vos bottines ; qu’enfin ses vagues et insoucieux propos à votre égard sont, pour vous, comme le gloussement d’un dindon ou le bruit du vent dans une serrure. Le visible effort que, — poussé par quelque détresse financière, sans doute, — vous avez commis ici pour vous niveler à ses « idées » l’insulte horriblement. La gaucherie de votre humilité de commande a des hésitations meurtrières pour les