Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/193

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la forme la plus dubitative, ce qu’ils s’empressaient de me jurer là si positivement. Ayant remarqué, moi, le caractère des ravages que, chez Anderson, avait causé l’usage de cette fille, je me défiais des prunelles trop rondes de ces enthousiastes. Et j’en vins, à l’aide d’un grain d’analyse dialectique, ― (c’est-à-dire en ne perdant pas de vue le genre d’homme que j’avais connu avant son désastre, dans Anderson, et en me remémorant l’étrangeté d’impressions que m’avait laissée la confidence de son amour), ― j’en vins, disons-nous, à pressentir une si singulière différence entre ce que tous m’affirmaient de miss Evelyn Habal et ce qu’elle devait être en réalité, que la foule de ces appréciateurs ou connaisseurs me faisaient l’effet d’une triste collection de niais hystériques. Et voici pourquoi.

Ne pouvant oublier qu’Anderson avait commencé, lui, par trouver cette femme « insignifiante » et que les seules fumées d’une fête l’avaient rendu coupable de jouer, quelques instants, à surmonter une initiale et instinctive aversion pour elle, ― les prétendus charmes personnels, qu’attribuaient d’emblée, à la coryphée, ces messieurs (savoir la grâce, le piquant, l’irrésistible et indiscutable don de plaire, etc.), ― ne pouvant être que relatifs à la qualité tout individuelle des sens de ces messieurs, ― devaient, dis-je, par ce fait seul, me paraître déjà d’une réalité suspecte. Car si nul absolu critérium des goûts, non plus que des nuances, n’est imaginable dans le domaine de la sensualité, je n’en devais pas moins augurer tristement, en bonne logique, d’une réalité de