Page:Villiers de L'Isle-Adam - L’Ève future, 1909.djvu/195

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Les goûts et les sens de mon ami, rien qu’à l’analyse de sa physionomie et d’après mille indices bien médités, ne pouvant être que des plus simples, des plus primitifs, des plus naturels, ne devaient, présumai-je, avoir été stérilisés et corrodés à ce point que par l’envoûtement de leurs inverses. Une telle entité ne pouvait avoir été abolie à ce point que par le néant. Le vide seul devait lui avoir donné ce genre de vertige.

Donc, si peu rigoureuse que pouvait sembler ma conclusion, il fallait qu’au mépris de tout l’encens consumé sur ses autels, cette miss Evelyn Habal fût, simplement, une personne dont l’aspect eût été capable de faire fuir en éclatant de rire ou dans l’épouvante ceux-là mêmes (s’ils eussent eu sous leurs paupières de quoi la regarder fixement une seule fois), qui me brûlaient ainsi, en sa faveur et sous le nez, ce fade encens.

Il fallait que tous fussent dupes d’une illusion ― poussée sans doute à quelque degré d’apparence insolite ! ― mais d’une simple illusion ; qu’en un mot l’ensemble des attraits de cette curieuse enfant fût, de beaucoup, surajouté à la pénurie intrinsèque de son individu. C’était donc, simplement, la fraude ravissante, sous laquelle cette nullité d’attraits était dissimulée, qui devait pervertir ainsi le premier et superficiel coup d’œil des passants. Quant à l’illusion plus durable d’Anderson, non seulement elle n’était pas extraordinaire, mais elle était inévitable.

Ces sortes d’êtres féminins en effet, ― c’est-à-dire celles qui ne sont abaissantes et fatales que pour des hommes d’une rare et droite nature, ― sa-