Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/139

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l’un des plus érudits hellénistes de l’Europe, l’un des plus savants Pères de l’Abbaye. Récemment il a refusé, par humilité, le chapeau du cardinal, offert par le Souverain Pontife. Il a préféré ce tablier, comme vous le voyez : — il a choisi de servir les pécheurs que Dieu conduit à Solesmes. C’est dom Pitra.

— Je porte envie à ce serviteur, lui dis-je.

— Moi aussi, répondit-il.

Après un moment, je repris :

— Et ce religieux, en face de nous, dont la figure d’ascète me rappelle celle du saint François d’Assises au musée de Madrid, — et qui a cependant l’air plus joyeux que les autres Pères ?

— Celui-là nous l’appelons familièrement le Capitaine, me répondit-il en souriant. C’est dom Gardereau, — vieux militaire, et grand mathématicien. — Quant à la joie recueillie qui transparaît sur ses traits, c’est qu’il a été condamné, ces jours-ci, par le médecin du monastère : il sait, en un mot, qu’il doit mourir sous très peu de temps.

Le déjeuner était fini.

Après une station à la chapelle cinq fois séculaire de Solesmes et dont l’abbé dom Guéranger avait relevé les ruines, je descendis au jardin. J’y aperçus mon voisin de table au milieu d’un groupe de bénédictins que présidait l’Abbé lui-même.

L’on était assis sur des chaises, en cercle, dans une grande allée.

Mon interlocuteur du déjeuner avait revêtu, sur