Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/208

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pensée, à sa vue, me serait toujours d’un idéal mille fois moins attrayant que le simple et fraternel partage de sa tristesse et de sa foi.

Je la considérai quelques instants avec une admiration aussi naïve qu’étonnée de sa présence en un milieu si loin d’elle !… Elle parut le comprendre, et aussi me reconnaître, d’un sourire empreint de clémence et de candeur. En effet, les êtres qui se sentent dignes d’inspirer la noblesse d’un pareil sentiment, l’acceptent avec une délicatesse infinie. Leur auguste humilité l’accueille comme un tribut tout simple, très naturel et dont tout l’honneur revient à Dieu.


Je fis un pas pour me rapprocher d’elle.

— Mademoiselle d’Aubelleyne, lui dis-je, n’a donc pas totalement oublié, depuis des années, le passant morose qu’elle a rencontré dans le manoir de Locmaria ?

— Je me souviens, en effet, monsieur.

— Vous étiez alors une très jeune fille, plus songeuse que triste, plus douce que joyeuse, dont le sourire n’était jamais qu’une lueur rapide ; et cependant, sous les pures transparences de vos regards d’enfant, oserais-je vous dire que j’avais déjà presque deviné la femme future, toute voilée de mélancolie, qui m’apparaît ce soir ?

— Bien que vieillie, il me plaît que vous ne me trouviez pas autrement changée.

— Aussi, tout en vous voyant mêlée à cette fête, j’ai le pressentiment que vous en êtes absente —