Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/26

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La peur bien légitime de perdre sa sacoche le maintint ferme jusqu’à l’atterrage d’Avignon. Le lit chauffé d’une auberge l’y réconforta. Ce fut en cette ville qu’il s’établit un mois après, ayant recouvré son or sous les décombres de son ancien logis, et ce fut là qu’il s’éteignit en sa centième année.


Or, en décembre de l’année qui suivit cet incident insolite, il arriva qu’une jeune fille du pays, une très pauvre orpheline d’un charmant visage, Euphrasie ***, ayant été remarquée par de riches bourgeois de la Vaucluse, ceux-ci, déconcertés par ses refus inexplicables, résolurent, dans son intérêt, de la prendre par la famine. Elle fut donc bientôt congédiée, par leurs soins, de l’ouvroir où elle gagnait le franc quotidien de sa subsistance et de sa bonne humeur, en échange de onze heures, seulement, de travail (l’ouvroir étant tenu par une famille des plus recommandables de la ville). Elle se vit également renvoyée, le jour même, du réduit où elle remerciait Dieu matin et soir ; car, il faut être juste, l’hôtelier, qui avait des enfants à établir, ne devait pas, ne pouvait pas, en sérieuse conscience, s’exposer à perdre les six beaux francs mensuels du cellulaire galetas qu’elle occupait chez lui. « Si honnête qu’elle fût, » lui dit-il, ce «n’est pas avec du sentiment qu’on paye les contributions » ; et d’ailleurs, peut-être était-ce pour son bien, à elle, ajouta-t-il en clignant de l’œil, « qu’il devait se montrer rigoureux. » En sorte que, par un crépuscule d’hiver où le tintement clair des