Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/35

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n’était-ce pas de leur âge ? — elles se renvoyaient, du bout de leurs bâtonnets d’acajou, de courts cerceaux de velours rouge festonnés de liserons d’or.

Elle avait aimé feu son époux, — ayant conquis, d’ailleurs, à ses côtés, dans le commerce des bronzes d’art, une aisance, — la belle madame Rousselin ! Séduisante, économe et tendre, perle bourgeoise, elle s’était retirée avec ses filles, en cette habitation, depuis les dix mois et demi d’où datait son sévère veuvage, qu’elle présumait éternel.

Jamais, en effet, son mari ne lui avait semblé plus « sérieux » que depuis qu’il était mort. Cet accident l’avait solennisé, pour ainsi dire, aux yeux en larmes de l’aimable veuve. Aussi, avec quelle tendresse triste se plaisait-elle à venir, toutes les quinzaines environ, suspendre (de concert avec ses trois charmantes filles) de sentimentales couronnes aux murs blancs du caveau neuf ! murs que, par prévoyance, elle avait fait clouter du haut en bas ! Sur ces couronnes se lisaient, en majuscules ponctuées de pleurs d’argent, des À mon petit papa chéri ! des À mon époux bien-aimé ! — Lorsqu’à de certains anniversaires, plus intimes, elle venait seule au champ du Repos, c’était avec un air indéfinissable et presque demi-souriant que, nouvelle Artémise, munie ce jour-là d’une couronne spéciale, à son usage, elle accrochait celle-ci à des clous isolés : sur les immortelles, semées alors de myosotis, on pouvait lire, en caractères tortillés et suggestifs, ces deux mots du cœur : « Souviens-