Page:Villiers de L’Isle-Adam - Derniers Contes, 1909.djvu/42

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en 1883, avaient éprouvé la commune d’Ypinx-les-Trembles, les nombreux sauvetages qu’il y avait accomplis ainsi que les deux blessures qui, entraînant son exemption de service, lui avaient déjà valu sa place forestière, etc., etc. » — C’est pourquoi, ce soir-là, Pier Albrun et sa femme s’attardaient, près de la croisée, au souvenir de toute cette journée de fête ; il serrait encore dans le creux de sa main, — ne pouvant se lasser de la regarder de temps à autre, — la croix au ruban de moire rouge !

Un voile de bonheur et d’amour semblait les envelopper tous les deux, aux lueurs silencieuses du firmament.


Cependant la belle Ardiane considérait, toujours songeuse, au loin, certains intervalles de murs noircis et ruinés entre les maisons et les chaumières blanches du village. On les avait laissés à l’abandon, sans rebâtir. L’an précédent, en effet, en moins d’un semestre, Ypinx-les-Trembles s’était vu, tout à coup, sept fois illuminé, en des nuits sans lune, par de soudains sinistres, au milieu desquels des victimes de tout âge avaient péri. — C’était, d’après une rumeur, l’œuvre de vindicatifs contrebandiers, qui, mal accueillis dans le village, y étaient revenus, chaque fois, allumer ces brûlis : puis, disparus là-bas, dans les sapinières, cachés dans les fourrés de myrtes et de trembles, échappant à la gendarmerie qui ne pouvait les y poursuivre, ils avaient su gagner la frontière — et les