Page:Villiers de L’Isle-Adam - Isis, 1862.djvu/207

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peuvent ni me distraire ni me troubler ; je n’ai pas besoin de l’anneau ; je suis parvenue, à force de lutte, à l’identité de moi-même. Pour l’empire du ciel je ne saurais oublier la suprême tristesse de vivre ni descendre de la sphère où j’ai atteint. Les sympathies et les aversions des gens passent, indifférentes, devant ma solitude. J’ai commencé à mourir depuis longtemps ; l’horizon s’est assombri ; mon cœur est une grande mélancolie glacée : il me semble que je ne change plus.

Je ne frémis pas de ce que je n’aime rien, et c’est parce que je ne tiens à rien que je suis au-dessus de la plupart des souffrances. Je ne sais pas me satisfaire de ce qui dure peu ; je n’ai point d’enthousiasme pour ce qui finit ; je n’aime pas le bruit du vent dans les forêts ; je n’aime pas l’Océan ni les astres de la nuit ; je ne tiens guère à une beauté qui doit s’annuler d’elle-même et qui est à la merci du moment qui passe ; rien, désormais, de terrestre, ne me captivera.

En prononçant ces paroles, Tullia Fabriana s’était levée et avait allumé un candélabre. Elle marcha vers un angle de la chambre, en face d’elle,