Page:Villiers de L’Isle-Adam - Le Nouveau-Monde, 1880.djvu/104

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86 ACTE TROISIEME RUTH, défaillante Je souffre. Tu me tues. Je succomberai, si tu me pries ! Ta chère voix nous serait fatale, si je l’écoutais. Tu sais bien, il faut obéir à la loi de Dieu. (Elle se dégage, en se débattant, haletante, pendant ces dernières pa- roles.) STEPHEN, s’éloignant un peu La loi de Dieu ! Mais c’est d’être l’un à l’autre, puisque tu m’aimes ! Qu’y a-t-il entre nous, enfin ? Nous sommes maîtres ici ! Et libres ! (Il regarde autour de lui.) Oui, libres. N’est-ce pas, terre, cieux, bois sublimes ! n’est-ce pas que nous sommes libres ? — Vois Henri, vois Mary ! Comme ils s’appartiennent ! Ils souffrent de notre séparation. Où est l’obstacle, que je le brise ? Ah ! c’est affreux ! Te voici dans mes bras, tout mon cœur se noie dans le tien, je sens, en toi, la compagne sacrée de ma vie, mon respect ardent t’entoure et te pénètre, ô ma bien aimée, — et je suis, auprès de toi, comme un exilé ! — Oh ! pourquoi n’es-tu pas mon bien, ma possession, mon ciel ? RUTH, à elle-mûme Oh ! lui dire que je suis devenue la femme d’un autre ! Il me mépriserait ! C’est impossible !.. . Stephen Rien ! tu ne réponds rien ? — Hélas ! je t’en veux pres- que d’être venue, à travers l’orage, la mer et les dangers, vers ton ami ! Au loin, je te savais fidèle. Ta présence ? Mais je te voyais ! Tu étais ici, pour moi ! Je me disais : « Là bas, en Irlande, elle m’attend, elle pense à moi, son fiancé ! » Aussi quel courage tu m’inspirais ! Mes travaux, dans ces jeunes villes radieuses, étaient une joie ! Mon ac- tivité, mon intelligence, me frayaient la route qui condui- sait à notre foyer ! Tes trésors, je rêvais de les laisser à ton pays. Et tu viens ! Te voici ! Je te vois. Tu es là. Comment me semble-t-il, parfois, que tu m’es plus étrangère qu’en ton absence ?