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[chateau]
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fenêtre dans le cabinet situé au rez-de-chaussée. Réunis dans cet étroit espace, ils brisent les portes, l’alarme se répand parmi la garnison occupant la basse-cour, et croyant qu’une troupe nombreuse envahit le bâtiment de la chapelle, les défenseurs accumulent des fascines et y mettent le feu pour arrêter l’assaillant ; mais la flamme se répand dans la seconde enceinte du château, Bogis et ses compagnons passent à travers le logis incendié et vont se réfugier dans les grottes marquées G sur notre plan (fig. 11). Roger de Lascy et les défenseurs, réduits au nombre de cent quatre-vingt, sont obligés de se réfugier dans la dernière enceinte, chassés par le feu. « À peine cependant la fumée a-t-elle un peu diminué, que Bogis sortant de sa retraite, et courant à travers les charbons ardents, aidé de ses compagnons, coupe les cordes et abat, en le faisant rouler sur son axe, le pont mobile qui était encore relevé[1], afin d’ouvrir un chemin aux Français pour sortir par la porte. Les Français donc s’avancent en hâte et se préparent à assaillir la haute citadelle dans laquelle l’ennemi venait de se retirer en fuyant devant Bogis.

« Au pied du rocher par lequel on arrivait à cette citadelle était un pont taillé dans le roc vif[2], que Richard avait fait ainsi couper autrefois, en même temps qu’il fit creuser les fossés. Ayant fait glisser une machine sur ce pont[3], les nôtres vont, sous sa protection, creuser au pied de la muraille. De son côté, l’ennemi travaille aussi à pratiquer une contre-mine, et ayant fait une ouverture, il lance des traits contre nos mineurs et les force ainsi à se retirer[4]. Les assiégés cependant n’avaient pas tellement entaillé leur muraille qu’elle fût menacée d’une chute ; mais bientôt une catapulte lance contre elle d’énormes blocs de pierre. Ne pouvant résister à ce choc, la muraille se fend de toutes parts, et, crevant par le milieu, une partie du mur s’écroule… » Les Français s’emparent de la brèche, et la garnison, trop peu nombreuse désormais pour défendre la dernière enceinte, enveloppée, n’a même pas le temps de se réfugier dans le donjon et de s’y enfermer. C’était le 6 mars 1204. C’est ainsi que Philippe-Auguste s’empara de ce château, que ses contemporains regardaient comme imprenable.

Si nous avons donné à peu près en entier la description de ce siége mémorable écrit par Guillaume le Breton, c’est qu’elle met en évidence un

  1. C’est le pont marqué sur notre plan et communiquant de l’ouvrage avancé à la basse-cour E.
  2. C’est le pont L (fig. 14).
  3. Un chat (voy. Architecture Militaire).

    « Un chat fait sur le pont atraire. »

    (Guill. Guiart, vers 4 340.)
  4. Richard avait eu le tort de ne pas ménager des embrasures à rez-de-chaussée pour enfiler ce pont, et le chat garantissant les mineurs français contre les projectiles lancés du sommet de la muraille, les assiégés sont obligés de créneler la muraille au niveau du sol de la cour.