Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 3.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[chateau]
— 126 —

« Jalousie a garnison mise
« Où chastel que ge vous devise,
« Si m’est avis que Dangier porte
« La clef de la première porte
« Qui ovre devers orient[1] ;
« Avec li, au mien escient,
« A trente sergens tout à conte[2].

    Lorris, ces ouvrages bas, plantés en dehors des fossés, empêchaient la troupe ennemie de venir d’emblée jusqu’au bord du fossé, sans trouver de résistance. À une époque où les armes de jet n’avaient pas une portée très-longue, il était fort important d’entourer les châteaux d’ouvrages extérieurs très-considérables ; car, autrement, la nuit et par surprise, une troupe aurait pu combler le fossé en peu d’instants et écheller les murailles. Ce fait se présente fréquemment dans l’histoire de nos guerres en France, lorsqu’il s’agit de châteaux de peu de valeur ou qui n’avaient pas une garnison assez nombreuse pour garnir les dehors.

  1. Du côté de Saint-Germain-l’Auxerrois.
  2. Ce passage est fort curieux ; il nous donne une idée de la disposition des postes dans les châteaux. Chaque porte composait une défense qui pouvait s’isoler du reste de la forteresse, véritable châtelet muni de ses tours, de ses salles, cuisines, fours, puits, caves, moulins même ; le seigneur en confiait la garde à un capitaine ayant un certain nombre d’hommes d’armes sous ses ordres. Il en était de même pour la garde des tours de quelque importance. Ces postes, habituellement, n’étaient pas relevés comme de nos jours ; la garnison d’un château n’était dès lors que la réunion de plusieurs petites garnisons, comme l’ensemble des défenses n’était qu’une réunion de petits forts pouvant au besoin se défendre séparément. Les conséquences du morcellement féodal se faisaient ainsi sentir jusque dans l’enceinte des châteaux. De là ces fréquentes trahisons d’une part, ou ces défenses désespérées de l’autre, de postes qui résistent encore lorsque tous les autres ouvrages d’une forteresse sont tombés. De là aussi l’importance des donjons qui peuvent protéger le seigneur contre ces petites garnisons séparées qui l’entourent. Nous trouvons encore, dans ce passage de la description du Louvre, la confirmation de ce que nous disions tout à l’heure au sujet de la disposition des courtines et des tours. Les tours étant des ouvrages isolés reliés seulement par des courtines basses qu’elles commandaient, les rondes étaient difficiles, ou du moins ne pouvaient se faire qu’à un étage ; les communications entre ces postes séparés étaient lentes ; cela était une conséquence du système défensif de cette époque, basé sur une défiance continuelle. Ainsi, à une attaque générale, à un siége en règle, on opposait 1o les courtines basses munies par-derrière d’engins envoyant des projectiles par-dessus les remparts ; 2o les crénelages de ces courtines garnis d’archers et d’arbalétriers ; 3o les tours qui commandaient la campagne au loin et les courtines si elles étaient prises par escalade. Pour se garantir contre les surprises de nuit, pour empêcher qu’une trahison partielle pût faire tomber l’ensemble des défenses entre les mains de l’ennemi, on renfermait, chaque soir, les postes dans leurs tours séparées, et on évitait qu’ils pussent communiquer entre eux. Des guetteurs placés aux créneaux supérieurs des tours par les postes qu’elles abritaient, des sentinelles sur les chemins de ronde posées par le connétable et qui ne dépendaient pas des postes enfermés dans les tours, exerçaient une surveillance double, contrôlée pour ainsi dire. Ce ne sont pas là des conjectures basées sur un seul texte, celui d’un poëte ; Sauval, qui a pu consulter un grand