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châtelains féodaux ; mais, cette fois, il nous paraît difficile de ne pas voir de véritables oubliettes dans la construction de la tour sud-ouest du château de Pierrefonds. Au-dessus du rez-de-chaussée est un étage voûté en arcs ogives, et au-dessous de cet étage une cave d’une profondeur de 7 mètres, voûtée en calotte elliptique. On ne peut descendre dans cette cave que par un œil percé à la partie supérieure de la voûte, c’est-à-dire au moyen d’une échelle ou d’une corde à nœuds ; au centre de l’aire de cette cave circulaire est creusé un puits, qui nous a paru avoir huit mètres de profondeur, bien qu’en partie comblé ; puits dont l’ouverture de 1m,60 de diamètre correspond à l’œil pratiqué au centre de la voûte elliptique de la cave. Cette cave, qui ne reçoit ni jour ni air de l’extérieur, est accompagnée d’un siége d’aisance pratiqué dans l’épaisseur du mur. Elle était donc destinée à recevoir un être humain, et le puits creusé au centre de son aire était probablement une tombe toujours ouverte pour les malheureux que l’on voulait faire disparaître à tout jamais[1] (voy. Oubliettes).

Ce qui viendrait appuyer encore notre opinion, c’est que la grand’salle a servait, suivant l’usage, de tribunal (son parquet était placé en a′). Les justiciables cités devant le tribunal du seigneur étaient introduits par le corps de garde M dans la salle d’attente b, sans pouvoir entrer dans la cour du château, puisque la herse du passage L est placée au delà de l’entrée du corps de garde. C’était là, en effet, un point important, aucune personne étrangère à la garnison ne devant, à cette époque, pénétrer dans un château, à moins d’une permission spéciale. Après avoir subi la question dans la tour e joignant la grand’salle, si les accusés étaient reconnus coupables, ils étaient ramenés devant la tribune a′ pour entendre prononcer leur condamnation, et de là entraînés dans la tour du coin c pour y être enfermés soit dans la salle du rez-de-chaussée, soit dans la cave, soit enfin dans le cul de basse-fosse que nous venons de décrire, suivant la rigueur de la peine qu’ils devaient subir. S’ils étaient reconnus innocents, ils sortaient par le corps de garde comme ils étaient entrés, sans pouvoir donner les moindres détails sur les dispositions intérieures du château, puisqu’ils n’avaient vu que le tribunal et ses annexes.

  1. Ces sortes de tours servant de prisons sont désignées, pendant les XIIe et XIIIe siècles, sous le nom de cartre.

    « Or fu Ogier en la grant cartre obscure
    Où il estoit et en fers et en buis.
    ...... »

    (Ogier l’Ardenois vers 10 281).

    Et plus haut :

    « Et morrai chi en celle cartre obscure.
    ....... »
    En une crote (grotte) estoit li dux Ogier
    Qui si iert basse ne se pooit drechier
    Et si estroite ne se pooit couchier. »

    (Vers 10 254).