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[château]
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d’eau, ponts étroits d’un accès peu facile, tourelles flanquantes aux angles, avant-cour avec les offices, basse-cour avec ses dépendances, jardins clos avec promenoir, logis irréguliers et disposés suivant la dimension des pièces qu’ils contiennent, passages détournés, caves immenses permettant d’amasser des provisions considérables, et enfin passage long, voûté pour communiquer, sans être vu, avec la grande route. Cependant le château de Chantilly ne pouvait, pas plus que celui de Creil, opposer une défense sérieuse à une attaque à main armée[1]. Les courtines et les tourelles du château étaient ouvertes par de larges fenêtres, les combles garnis de belles lucarnes ; mais le chemin de ronde supérieur avec les machicoulis traditionnels sont encore conservés. Si ces galeries supérieures ne pouvaient plus protéger le château contre les effets de l’artillerie, elles étaient souvent conservées pour les besoins du service ; car elles donnaient de longs couloirs permettant de desservir toutes les pièces des étages élevés, et facilitaient la surveillance.

On remarquera que tous les corps de logis des châteaux, encore à cette époque, sont simples en épaisseur, c’est-à-dire qu’ils n’ont que la largeur des pièces disposées en enfilade ; celles-ci se commandaient, et les couloirs supérieurs, comme les caves, offraient du moins une circulation indépendante des salles et chambres, à deux hauteurs différentes[2]. Ce ne fut guère qu’au XVIIe siècle que l’on commença, dans les châteaux, à bâtir des corps de logis doubles en épaisseur.

Cependant, il ne faudrait pas croire que l’irrégularité des plans fût, au commencement du XVIe siècle, une sorte de nécessité, le résultat d’une idée préconçue ; au contraire, à cette époque, on cherchait, dans les demeures seigneuriales, la symétrie ; on lui sacrifiait même déjà les distributions intérieures, avec l’intention de présenter, à l’extérieur, des façades régulières, un ensemble de bâtiments d’un aspect monumental. Sous ce rapport, l’Italie avait exercé une influence sur les constructeurs français ; mais c’était, avec l’emprunt de quelques détails architectoniques, tout ce que les architectes avaient pris aux palais italiens ; car, d’ailleurs, le château seigneurial conservait son caractère français, soit dans l’ensemble des dispositions générales, soit dans les distributions intérieures, ses flanquements par des tourelles, ou par la manière de couvrir les bâtiments.

Le beau château du Verger en Anjou, demeure des princes de Rohan-Guémené, joignait ainsi les anciennes traditions du château féodal aux dispositions monumentales en vogue au commencement du XVIe siècle. Il se composait (35) d’une basse-cour dans laquelle on pénétrait par une

  1. Toutes les constructions ne dataient pas de la même époque ; les plus anciennes remontaient à la fin du XVe siècle. Mais, pendant le XVIe siècle, les bâtiments, surtout à l’intérieur, furent en grande partie décorés avec un grand luxe d’architecture. Plus tard encore, pendant le XVIIe siècle, les communs furent modifiés.
  2. Voy., dans Les plus excellens bastimens de France, de Ducerceau, les vues et détails des constructions de Chantilly.