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[château]
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élevé des habitations élégantes et dans la construction desquelles on cherchait à conserver l’ancien aspect pittoresque des demeures fortifiées. Les guerres de religion, Richelieu et la Fronde en détruisirent un grand nombre. Alors la noblesse dut s’apercevoir, un peu tard, qu’en rasant elle-même ses forteresses pour les remplacer par des demeures ouvertes, elle avait donné une force nouvelle aux envahissements de la royauté. C’est surtout pendant les luttes de la fin du XVIe siècle et du commencement du XVIIe que les suprêmes efforts de la noblesse féodale se font sentir. Agrippa d’Aubigné nous paraît être le dernier rejeton de cette race puissante ; c’est un héros du XIIe siècle qui surgit, tout d’une pièce, dans des temps déjà bien éloignés, par les mœurs, de cette grande époque. Le dernier peut-être il osa se renfermer dans les forteresses de Maillezay et du Dognon, les garder contre les armées du roi, auxquelles il ne les rendit pas ; en quittant la France il les vendit à M. de Rohan. Avec cet homme d’un caractère inébranlable, mélange singulier de fidélité et l’indépendance, plus partisan que français, s’éteint l’esprit de résistance de la noblesse. Quand, de gré ou de force, sous la main de Richelieu et le régime absolu de Louis XIV, la féodalité eut renoncé à lutter désormais avec le pouvoir royal, ses demeures prirent une forme nouvelle qui ne conservait plus rien de la forteresse seigneuriale du moyen âge.

Cependant le château français, jusqu’au XVIIIe siècle, fournit des exemples fort remarquables et très-supérieurs à tout ce que l’on trouve en ce genre en Angleterre, en Italie et en Allemagne. Les châteaux de Tanlay, d’Ancy-le-Franc, de Verneuil, de Vaux, de Maisons, l’ancien château de Versailles, les châteaux détruits de Meudon, de Rueil, de Richelieu, de Brèves en Nivernais, de Pont en Champagne, de Blérancourt en Picardie, de Coulommiers en Brie, offrent de vastes sujets d’études pour l’architecte. On y trouve la grandeur du commencement du XVIIe siècle, grandeur solide, sans faux ornements ; des dispositions larges et bien entendues, une richesse réelle. Dans ces demeures, il n’est plus trace de tours, de créneaux, de passages détournés ; ce sont de vastes palais ouverts, entourés de magnifiques jardins, faciles d’accès. Le souverain peut seul aujourd’hui remplir de pareilles demeures, aussi éloignées de nos habitudes journalières et de nos fortunes de parvenus que le sont les châteaux fortifiés du moyen âge.

La révolution de 1792 anéantit à tout jamais le château, et ce que l’on bâtit en ce genre aujourd’hui, en France, ne présente que de pâles copies, d’un art perdu, parce qu’il n’est plus en rapport avec nos mœurs. Un pays qui a supprimé l’aristocratie et tout ce qu’elle entraîne de priviléges avec elle ne peut sérieusement bâtir des châteaux. Car qu’est-ce qu’un château avec la division de la propriété, sinon un caprice d’un jour ? Une demeure dispendieuse qui périt avec son propriétaire et ne laissant aucun souvenir, est destinée à servir de carrière pour quelques maisons de paysans ou des usines.

Nos vieilles églises du moyen âge, toutes dépouillées qu’elles soient,