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[cheminée]
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une vue perspective. Les armes de l’abbaye sont sculptées sur la clef du manteau, composé de deux énormes sommiers et de trois claveaux avec crossettes. Il n’y a pas ici de pieds-droits pour porter le manteau, mais deux consoles très-saillantes. Le contre-cœur est encore garni de sa plaque en fonte et de sa triple crémaillère.

Mais, jusqu’au XIVe siècle, les cheminées des châteaux et maisons étaient, sauf de rares exceptions, d’une grande simplicité, comme tout ce qui tenait à l’usage journalier. Le luxe des intérieurs consistait en peintures, en boiseries et en tentures plus ou moins riches, en raison de l’état de fortune du maître. Ce n’est guère que pendant le XIVe siècle que nous voyons la sculpture, les bas-reliefs envahir les manteaux des cheminées. À cette époque, les grand’salles des châteaux, reconstruites la plupart sur de plus vastes proportions, étaient garnies de plusieurs cheminées. La grand’salle des chevaliers du Mont-Saint-Michel-en-Mer contient deux cheminées ; celle du château de Montargis en contenait quatre, deux sur l’une des parois longitudinales et deux à chacune des extrémités (voy. Salle ).

« La cheminée de la chambre du roi à l’hôtel Saint-Pol, dit Sauval[1], avoit pour ornement de grands chevaux de pierre ; celle de sa chambre au Louvre, en 1365, étoit chargée de douze grosses bêtes, et de treize grands prophètes, qui tenoient chacun un rouleau ; de plus, terminée des armes de France, soutenue par deux anges, et couverte d’une couronne. Il se trouve encore une cheminée de cette manière à l’hôtel de Cluni, rue des Mathurins (cette cheminée n’existe plus), sans parler de celle de la grand’salle qui s’y voit embarrassée d’une infinité de pellerins de toutes tailles, qui vont en pelerinage dans un bois, le long d’une haute montagne. »

La grand’salle du château de Coucy en contient deux, offrant également cette particularité que les tuyaux de ces cheminées sont divisés par une languette en pierre, de manière à fournir deux tirages. Un pied-droit divisait la portée du manteau et formait ainsi comme deux cheminées jumelles. La même disposition était adoptée dans la construction de la cheminée de la salle des Preuses dépendant de ce château. Le dessin de cette belle cheminée nous est conservé par Ducerceau[2], et nous le reproduisons ici (8). Sur le manteau de cette cheminée étaient sculptées en ronde-bosse, de dimension colossale, les statues des neuf Preuses[3], portant chacune un écusson sur lequel était gravé un attribut.

    appartenir à la fin du XIIIe siècle ou au commencement du XIVe. Voy. ce qu’en dit Sauval, t. II, p. 280, Hist, et antiq. de la ville de Paris.

  1. Hist. et antiq. de la ville de Paris, t. II, p. 279.
  2. Des plus excellens bastimens de France.
  3. De ces figures, il ne reste qu’une tête découverte récemment, dont la coiffure accuse la fin du XIVe siècle. Nous ne désespérons pas de retrouver d’autres fragments de cette magnifique cheminée.