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en se faisant suivre d’une flottille, pouvait, en deux journées de marche, investir la capitale de la Normandie et s’approvisionner de toutes choses par la Seine. Planter une forteresse à cheval sur le fleuve, entre les deux places de Vernon et de Gisors, en face d’une presqu’île facile à garder, c’était intercepter la navigation du fleuve, couper les deux corps d’invasion, rendre leur communication avec Paris impossible, et les mettre dans la fâcheuse alternative d’être battus séparément avant d’arriver sous les murs de Rouen. La position était donc, dans des circonstances aussi défavorables que celles où se trouvait Richard, parfaitement choisie. La presqu’île de Bernières, située en face les Andelys, pouvant être facilement retranchée à la gorge, appuyée par une place très-forte de l’autre côté du fleuve, permettait l’établissement d’un camp approvisionné par Rouen et que l’on ne pouvait songer à forcer. La ville de Rouen était couverte, et Philippe-Auguste, s’il eût eu l’intention de marcher sur cette place, n’aurait pu le faire sans jeter un regard d’inquiétude sur le château Gaillard qu’il laissait entre lui et la France. Cette courte description fait déjà connaître que Richard était mieux qu’un capitaine d’une bravoure emportée.

Voici comme le roi anglo-normand disposa l’ensemble des défenses de ce point stratégique (10). À l’extrémité de la presqu’île A, du côté de la rive droite, la Seine côtoie des escarpements de roches crayeuses fort élevées qui dominent toute la plaine d’alluvion. Sur un îlot B qui divise le fleuve, Richard éleva d’abord un fort octogone muni de tours, de fossés et de palissades[1] ; un pont de bois passant à travers ce châtelet unit les

  1. Les parties intérieures de cet ouvrage existent encore :

    « Endroit la vile d’Andeli,
    « Droit en mi Sainne, a une ilete,
    « Qui comme un cerne est réondete ;
    « Et est de chascune partie
    « Sainne parfonde et espartie.
    « Cele ilete, qui s’en eléve,
    « Est si haute au-dessus de l’éve (l’eau),
    « Que Sainne par nule cretine (crue)
    « N’a povoir d’i faire ataïne.
    « Ne jusqu’au plain desus reclorre,
    « Li Roy Richart l’ot faite clorre,
    « A cui ele estoit toute quite,
    « De forz murs à la circuite,
    « Bien crenelez d’euvre nouvele.
    « En mi ot une tour trop bele ;
    « Le baille (l’enceinte extérieure) et le maisonnement,
    « Fu atournez si richement
    « Aus pierres metre et asséoir,
    « Que c’iert un déduit du veoir.
    « Pont i ot qui la rabeli,
    « Pour passer Sainne à Andeli
    « Qui là endroit est grant et fiére.

    (Guill. Guiart, Branche des roy. lignages, vers 3 162 et suiv.)