Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 4.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[construction]
[développements]
— 182 —

flanquant, épaulant les piles composées de pierres superposées. Ce principe est à peine appliqué par les Romains, qui n’avaient pas besoin d’y recourir ; il appartient aux constructeurs gothiques. De ce principe, ils font un des motifs les plus ordinaires de la décoration des édifices, et, en effet, il se prête aux combinaisons les plus brillantes et les plus hardies.

Certes, il y a, dans l’exemple de construction que nous venons de donner à nos lecteurs, de graves défauts, et nous ne les dissimulons pas. Cet échafaudage extérieur de pierre, qui fait toute la force de la bâtisse, est soumis aux intempéries de l’atmosphère : il semble que le constructeur, au lieu de chercher à protéger les organes essentiels de son monument, ait pris plaisir à les exposer à toutes les chances de destruction. Son système d’équilibre dépend de la résistance absolue de matériaux trop souvent imparfaits. Il veut évidemment étonner, et il sacrifie tout à ce désir. Mais à côté de ces défauts si graves, quelle connaissance approfondie des lois de l’équilibre ! quel assujettissement de la matière à l’idée, quelle théorie fertile en applications ! N’imitons jamais ces constructions subtiles ; mais profitons hardiment de tant de connaissances acquises. Pour en profiter, faut-il au moins les cultiver et les pratiquer.

À l’article Chaînage, nous avons indiqué quels étaient, pendant le moyen âge, les procédés employés pour chaîner les édifices. Aux longrines de bois usitées pendant l’époque romane, les constructeurs du XIIIe siècle, s’apercevant que celles-ci étaient promptement pourries, substituèrent des crampons en fer reliant les pierres composant les assises. Toutefois, cette méthode ne fut guère employée que dans l’Île-de-France avec une singulière exagération. Il est tel monument, comme la Sainte-Chapelle du Palais à Paris, où toutes les assises, de la base au faîte, sont cramponnées. À Notre-Dame de Paris même, on s’aperçoit que toutes les constructions élevées ou reprises à partir des premières années du XIIIe siècle sont, à des hauteurs assez rapprochées, reliées par des crampons coulés en plomb. Certainement ces constructeurs n’avaient pas une entière confiance en leurs méthodes si ingénieuses, et leur bon sens naturel leur faisait sentir déjà qu’ils poussaient la hardiesse trop loin. La façon dont sont disposés ces chaînages fait bien voir d’ailleurs que ce qu’ils redoutaient le plus, c’était le bouclement ou la torsion des piles et des murs, et, en cela, le système de chandelles de pierre adopté par les architectes bourguignons avait une supériorité marquée sur l’emploi dangereux des crampons de fer scellés en pleines pierres. Il faut dire aussi que les constructeurs de l’Île-de-France se procuraient difficilement des pierres longues, résistantes, pouvant être impunément posées en délit, tandis qu’elles étaient communes en Bourgogne et d’une excellente qualité.

Il est temps maintenant d’entretenir nos lecteurs d’un édifice qui, à lui seul, résume, en les exagérant avec une grande adresse, toutes les théories des constructeurs de l’école gothique. Nous voulons parler de l’église Saint-Urbain de Troyes. En 1261, Jacques Pantaléon, natif de Troyes,