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c’était une grande hardiesse ; réussir était le fait de gens fort habiles. Si l’on examine avec soin l’appareil des portions appartenant au XIIe siècle des cathédrales de Noyon, de Senlis, et d’un grand nombre d’églises de l’Oise, de la Seine, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne, de la Marne, de la Seine-Inférieure, etc., on s’étonne que des constructeurs aient osé monter des monuments d’une assez grande hauteur et très-légers avec des moyens qui semblent si faibles ; et cependant la stabilité de ces édifices est assurée depuis longtemps, et si quelques-uns d’entre eux ont subi des altérations sensibles, cela tient presque toujours à des accidents particuliers, tels que les incendies, le défaut d’entretien ou des surcharges postérieures. De tous ces monuments, l’un des plus parfaits et des mieux conservés est la cathédrale de Noyon, bâtie de 1150 à 1190. Sauf les colonnettes, les gros chapiteaux, les sommiers et quelques morceaux exceptionnels, toute la bâtisse n’est en réalité composée que de moellon peu résistant.

On prendra une idée de ce qu’est cette construction par notre fig. 31, qui donne une partie des travées intérieures jumelles de la nef. Les colonnettes isolées de la galerie du premier étage, celles du petit triforium supérieur, celles séparant les fenêtres hautes, sont des monolythes de pierre dure posés en délit. Quant aux colonnettes triples A qui, avant la reconstruction des voûtes au XIIIe siècle, recevait l’arc doubleau d’intersection des arcs ogives et les formerets, elles sont composées de grands morceaux en délit retenus de distance en distance par des crampons à T. Mais ces colonnettes ont été posées après que la construction avait subi son tassement, et par le fait elles ne sont qu’une décoration et ne portent rien, l’assise de chapiteau et le sommier dont les queues s’engagent dans la maçonnerie suffisant pour soutenir les claveaux de cet arc doubleau. Nous avons indiqué en B la naissance des anciens arcs ogives des grandes voûtes et en C le formeret derrière les arcs ogives. On remarquera qu’ici, comme dans la plupart des églises bâties à cette époque dans les provinces voisines de l’Île-de-France, et notamment dans le Beauvoisis, les piles qui portent les retombées des arcs ogives et arcs doubleaux sont beaucoup plus fortes que celles supportant seulement l’arc doubleau de traverse. En d’autres termes (voy. le plan), les piles D se composent d’un faisceau de colonnes, tandis que les piles intermédiaires E ne sont que des colonnes monocylindriques à rez-de-chaussée surmontées du faisceau de colonnettes A. L’extrême légèreté d’une pareille construction, la facilité avec laquelle tous les matériaux qui la composent pouvaient être taillés, montés et posés, expliquent comment, même avec de faibles ressources, on pouvait songer à bâtir des édifices d’une grande étendue et fort élevés au-dessus du sol. Aujourd’hui que nous avons pris l’habitude d’employer des masses énormes de pierre d’un fort volume dans nos édifices les moins considérables, de mettre en œuvre des forces dix fois plus résistantes qu’il n’est besoin, nous n’oserions pas entreprendre de bâtir une cathédrale de la dimension de celle de Noyon avec des moyens en apparence aussi faibles, et nous dépenserions des sommes fabuleuses pour exécuter ce qu’au