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construction gothique, malgré ses défauts, ses erreurs, ses recherches, et peut-être à cause de tout cela, est une étude éminemment utile : elle est l’initiation la plus sûre à cet art moderne qui n’existe pas et cherche sa voie, parce qu’elle pose les véritables principes auxquels nous devons encore nous soumettre aujourd’hui, parce qu’elle a rompu avec les traditions antiques, qu’elle est féconde en applications. Peu importe qu’un clocheton soit couvert d’ornements qui ne sont pas du goût de telle ou telle école, si ce clocheton a sa raison d’être, si sa fonction est nécessaire, s’il nous permet de prendre moins de place sur la voie publique. Peu importe que l’arc brisé choque les yeux des partisans exclusifs de l’antiquité, si cet arc est plus solide, plus résistant que le plein cintre, et nous épargne un cube de pierre considérable. Peu importe qu’une colonne ait vingt, trente diamètres, si cette colonne suffit pour porter notre voûte ou notre plancher. Le beau n’est pas, dans un art tout de convention et de raisonnement, rivé éternellement à une seule forme : il peut toujours résider là où la forme n’est que l’expression du besoin satisfait, du judicieux emploi de la matière donnée. De ce que la foule ne voit dans l’architecture gothique que sa parure et que cette parure n’est plus de notre temps, est-ce une preuve que la construction de ces édifices ne puisse trouver son application ? Autant vaudrait soutenir qu’un traité de géométrie ne vaut rien parce qu’il serait imprimé en caractères gothiques, et que les étudiants lisant dans ce livre « que les angles opposés au sommet sont égaux entre eux », n’apprennent qu’une sottise et se fourvoient. Or, si nous pouvons enseigner la géométrie avec des livres imprimés d’hier, nous ne pouvons faire de même pour la construction, il faut nécessairement aller chercher ses principes là où ils sont tracés, dans les monuments ; et ce livre de pierre, si étranges que soient ses types ou son style, en vaut bien un autre quant au fond, quant à la pensée qui l’a dicté.

Dans aucune autre architecture nous ne trouvons ces moyens ingénieux, pratiques, de résoudre les nombreuses difficultés qui entourent le constructeur vivant au milieu d’une société dont les besoins sont compliqués à l’excès. La construction gothique n’est point, comme la construction antique, tout d’une pièce, absolue dans ses moyens ; elle est souple, libre et chercheuse comme l’esprit moderne ; ses principes permettent d’appliquer tous les matériaux livrés par la nature ou l’industrie en raison de leurs qualités propres ; elle n’est jamais arrêtée par une difficulté, elle est ingénieuse : ce mot dit tout. Les constructeurs gothiques sont subtils, travailleurs ardents et infatigables, raisonneurs, pleins de ressources, ne s’arrêtant jamais, libres dans leurs procédés, avides de s’emparer des nouveautés, toutes qualités ou défauts qui les rangent en tête de la civilisation moderne. Ces constructeurs ne sont plus des moines assujettis à la règle ou à la tradition : ce sont des laïques qui analysent toute chose, et ne reconnaissent d’autre loi que le raisonnement. Leur faculté de raisonner s’arrête à peine devant les lois naturelles, et, s’ils sont forcés de les