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[construction]
[voûtes]
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permis de se servir de cette comparaison) d’un système organique beaucoup plus compliqué que celui de la construction romaine. « Tant pis, disent les uns, c’est une marque d’infériorité. » — « Tant mieux, disent les autres, c’est une preuve de progrès. » Progrès ou décadence, c’est un fait qu’il nous faut reconnaître et étudier. Déjà notre fig. 34 fait voir que la combinaison au moyen de laquelle les poussées des voûtes sont maintenues dans la construction gothique primitive n’est rien moins que simple. Or, toute construction partant d’un principe compliqué entraîne une suite de conséquences qui ne sauraient être simples. Rien n’est impérieusement logique comme une bâtisse élevée par des hommes raisonnant ce qu’ils font ; nous allons le reconnaître tout à l’heure. Le chœur de Saint-Remy de Reims fut rebâti vers 1160, au moment où on construisait celui de la cathédrale de Paris. Cette construction, très-habilement conçue dans son ensemble, ne montre dans les détails qu’une suite de tâtonnements ; ce qui indique une école avancée déjà théoriquement, mais fort peu expérimentée quant à l’exécution. Les principes de pondération et d’équilibre que nous avons tracés plus haut y sont appliqués avec rigueur ; mais évidemment les bras et les chefs de chantier manquaient à ces premiers architectes gothiques ; ils n’avaient eu ni le temps ni le moyen de former des ouvriers habiles ; on ne les comprenait pas. Au surplus, le chœur de Saint-Remy de Reims dut exciter avec raison l’admiration des constructeurs de la fin du XIIe siècle, car les méthodes adoptées là sont suivies en Champagne à cette époque, et notamment dans la reconstruction du chœur de l’église Notre-Dame de Châlons-sur-Marne.

Mais d’abord traçons en quelques mots l’histoire de ce charmant édifice. L’église de Châlons-sur-Marne fut bâtie pendant les premières années du XIIe siècle : elle se composait alors d’une nef avec bas-côtés ; la nef était couverte probablement par une charpente portée sur des arcs doubleaux, comme beaucoup d’églises de cette époque et de la Champagne ; les collatéraux étaient voûtés au moyen d’arcs doubleaux séparant des voûtes d’arêtes romaines. Le chœur se composait d’une abside sans bas-côtés avec deux chapelles carrées s’ouvrant dans les transsepts, sous deux clochers, ainsi que la cathédrale de la même ville. Vers la fin du XIIe siècle (quoique ce monument fût élevé dans d’excellentes conditions et que rien ne fasse supposer qu’il eût souffert), ces dispositions n’étaient plus en harmonie avec les idées du temps : on voulait alors des nefs voûtées, des collatéraux et des chapelles rayonnantes autour du sanctuaire. On fit donc subir à cette église un remaniement complet : le mur circulaire de l’abside fut remplacé par des colonnes isolées ; on éleva un bas-côté donnant issue dans trois chapelles ou absidioles circulaires ; on conserva les deux clochers qui flanquaient l’abside, mais on creva le mur du fond des chapelles carrées disposées sous ces tours, et elles servirent de communication avec le bas-côté du chevet. La nef fut surélevée et complètement voûtée ; à la place des voûtes romaines des bas-côtés, on fit des voûtes en arcs d’ogive. Quelques chapiteaux provenant des démolitions furent replacés, notam-