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n’avaient plus les facilités pour les tailler en grands morceaux et les polir. Lorsqu’ils voulurent décorer les aires des édifices, ils adoptèrent donc des moyens plus simples et surtout moins dispendieux. Dès l’époque byzantine les Grecs avaient essayé de décorer les surfaces planes, verticales ou horizontales de leurs monuments au moyen d’incrustations de marbres de couleur ou de mastics colorés dans des plaques de marbre blanc ou de pierre calcaire. On obtenait ainsi des dessins d’une grande richesse, très-variés et très-fins, avec des matières faciles à se procurer ; ce n’était plus qu’une affaire de main-d’œuvre. Ces procédés furent employés en France dès le XIIe siècle, et peut-être même avant cette époque, bien que les exemples nous manquent absolument. Grégoire de Tours parle de pavages d’églises d’une grande magnificence ; mais il est à croire que ces dallages étaient faits conformément aux procédés antiques, peut-être même avec des débris de monuments romains, ou se composaient de grossières mosaïques comme on en trouve encore un si grand nombre sur la surface de la France (voyez Mosaïque).

Pendant le moyen âge, en France, la mosaïque ne fut employée que très-rarement, et ces sortes de pavages, composés de petits morceaux de pierres dures formant des entrelacs, connus sous le nom d'opus Alexandrinum, si communs en Italie et en Sicile, ne se rencontrent qu’exceptionnellement ; encore sont-ils évidemment importés d’Italie. On voit de ces pavages dans le sanctuaire de l’église abbatiale de Westminster, à Londres, et dans celui de l’église de Saint-Benoît-sur-Loire. Cette importation ne fut point imitée par nos architectes clercs ou laïques. Ceux-ci adoptèrent de préférence les dallages en pierre calcaire dure ; et lorsqu’ils voulurent les décorer, ils gravèrent des dessins sur leur surface, qu’ils remplirent de plomb, ou de mastics colorés en noir, en vert, en rouge, en brun, en bleu clair ou sombre. Deux causes contribuèrent à détruire ces dallages : d’abord le passage fréquent des fidèles qui usaient leur surface avec leurs chaussures, puis l’usage admis généralement, à dater du XIIIe siècle, d’enterrer les clercs et même les laïques sous le pavé des églises. Ainsi beaucoup de dallages anciens furent enlevés pour faire place à des pierres tombales qui, à leur tour, composaient une riche décoration obtenue par les mêmes procédés de gravures et d’incrustations (voy. Tombes).

Les plus anciens fragments de dallages gravés que nous possédions proviennent de l’église de Saint-Menoux, près Moulins. Ces fragments (1 et 1 bis) datent du XIIe siècle ; ils sont en pierre blanche incrustée d’un mastic résineux noir. Le morceau de dallage (fig.1) formait le fond ; celui (fig. 1 bis), la bordure.

Les nombreux fragments de dallages gravés et incrustés que l’on voit encore dans l’ancienne cathédrale de Saint-Omer, et qui ont été publiés par M. E. Wallet[1], nous présentent le spécimen le plus complet de ces sortes d’ouvrages qui, autrefois, décoraient l’aire des chœurs et des cha-

  1. Descript. du pavé de l’ancienne cathéd. de Saint-Omer. 1847.