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inspirations. Non-seulement ainsi elle trouvait une décoration originale, mais elle s’appuyait sur un principe toujours neuf, toujours vivant, toujours applicable. L’art français de la grande école laïque d’architecture est logique ; dans la construction, il émet des principes nouveaux qui, sans imposer une forme, sont applicables partout et dans tous les temps ; dans la décoration, cet art ne fait de même qu’émettre des principes ; il ne prescrit pas l’emploi d’une forme hiératique, comme l’a fait l’art oriental. Le génie de chaque artiste peut sans cesse tirer de ces principes féconds des formes neuves, imprévues.

De nos jours, on a remplacé en France la méthode, l’énoncé des principes, par l’enseignement, non raisonné, d’une ou de plusieurs formes de l’art ; on a pris l’une des applications du principe pour l’art lui-même, et on a dit alors avec beaucoup de raison : « Toute imitation est funeste, si nous proscrivons l’imitation des arts de l’antiquité, nous ne pouvons prescrire l’imitation des arts du moyen âge. » Mais remplaçant l’enseignement de telle ou telle forme, d’une des applications du principe, par l’enseignement du principe lui-même, on ne prescrit pas l’imitation, on ne fait que se servir d’une méthode vraie qui permet à chacun de suivre ses inspirations. Nous savons bien qu’il est une école pour laquelle des principes sont un embarras : elle veut que la fantaisie soit le seul guide de l’artiste. La fantaisie a des tours charmants quand elle n’est que le vernis d’un esprit réfléchi, observateur, quand elle couvre d’un vêtement à mille reflets imprévus un corps solide, bien fait et sain ; mais rien n’est plus monotone et fatigant que la fantaisie lorsqu’elle est seule et ne drape qu’un corps inconsistant, chétif et pauvre. Il y a certainement de la fantaisie, et beaucoup, dans l’ornementation architectonique de notre école française ; mais elle ne fait que se jouer autour des principes solides, vrais, dérivés d’une observation subtile de la nature ; la fantaisie alors n’est autre chose que la grâce qui sait éviter la pédanterie. Poursuivons notre étude.

Voici (14) une plante bien vulgaire, le Cresson. Regardons cependant avec attention ces tiges souples et grasses, ces pétioles bien soudées, ces courbes gracieuses des limbes, leur profil A. Dans ces limbes cependant, il y a une indécision de contour qui ne se prête pas à la décoration monumentale ; les stipules B jettent de la confusion au milieu des masses. Pour faire un ornement avec cette plante, il faut en sacrifier quelque chose, donner de la fermeté aux silhouettes des pétioles ; il faut prendre et laisser, ajouter et retrancher ; ce qu’il faut conserver, c’est la force, la grâce, la souplesse, l’aisance de ces contours. Avec une adresse incomparable, les sculpteurs de Notre-Dame de Paris sont arrivés à ce résultat (15)[1]. Tout en conservant la silhouette de ces feuilles de cresson, ils leur ont donné un accent plus ferme, monumental, précis ; entre ces limbes, ils ont ajouté des grappes qui donnent de la grandeur et de la

  1. Portail occidental de la cathédrale de Paris, premières années du XIIIe siècle.