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et enfin, pendant les pestes qui désolèrent les villes du moyen âge, des évêques, des seigneurs laïques prêtèrent des locaux dépendant de leurs résidences pour soigner les malades, et voulurent souvent eux-mêmes les assister. À côté des désordres de toute nature et des abus sans nombre qui signalèrent cette époque, il faut donc reconnaître que tous, petits et grands, cherchaient à adoucir le sort des classes souffrantes par les moyens les plus efficaces, et que l’esprit de charité ne fut jamais plus actif que dans ces temps. Il faut dire que, souvent, tel seigneur qui fondait un hospice en mourant avait, sa vie durant, fait plus de malheureux qu’on n’en pouvait secourir de longtemps dans la maison élevée par lui. Le moyen âge est ainsi fait : c’est un mélange sans mesure de bien et de mal ; aussi y a-t-il autant d’injustice à présenter cette époque comme un temps de misères continuelles que comme un âge de foi vive, de charité et de sagesse. Partout, à côté d’un mal, d’un abus monstrueux, trouve-t-on le sentiment du droit, le respect pour l’homme, pour ses malheurs et ses faiblesses. Le mot de fraternité n’est pas seulement dans les discours, il trouve partout une application pratique, et si la passion ou l’intérêt font trop souvent enfreindre cette loi sacrée, du moins son principe n’est jamais méconnu. Par le fait, nos grandes institutions de charité nous viennent du moyen âge et lui survivent ; il est bon de ne pas trop l’oublier : ayant profité de la belle partie de l’héritage, peut-être serait-il juste d’être indulgents pour son côté misérable.

On comprendra que parmi tant d’édifices élevés sous l’inspiration d’une charité vive et voulant immédiatement porter remède au mal, beaucoup n’étaient que des bicoques, des maisons que l’on appropriait tant bien que mal au service des pauvres et des malades ; car nombre de ces hospices se composaient d’une maison donnée par un simple bourgeois, avec une rente à prendre sur son bien. Peu à peu ces modestes donations s’étendaient, s’enrichissaient par les quêtes et devenaient des établissements importants. Cependant il nous reste encore quelques hôpitaux du moyen âge qui, au point de vue de l’art, sont remarquables. Bien bâtis, bien aérés, spacieux, ils ont aussi cet avantage, sur les constructions analogues que nous élevons aujourd’hui généralement, de laisser à l’art une large place, de ne point attrister les malades par cet aspect froid et désolé qui caractérise de notre temps (sauf de rares exceptions) les édifices publics de charité[1].

Parmi les hôpitaux les plus anciens qui existent encore en France, il faut citer l’Hôtel-Dieu de Chartres, situé près de la cathédrale, et l’hôpital d’Angers. Ce dernier surtout est remarquable par son étendue et par les

  1. Il faut reconnaître que depuis peu on a fait chez nous de grands progrès en ce genre. L’hospice de Charenton, ceux de Vincennes et du Vézinet, sont non-seulement parfaitement appropriés à leur destination ; mais ce sont aussi, comme œuvres d’architecture, des édifices faits pour donner aux malades des idées plutôt agréables que tristes.