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dispositions symétriques adoptées depuis lors, c’est qu’en réalité les besoins journaliers des habitants de ces demeures ne se prêtaient point à la symétrie. On songeait bien plutôt à trouver des distributions intérieures convenables, des moyens de défense suffisants, qu’à présenter aux passants des façades pondérées. Le goût ne consistait pas alors à chercher cette symétrie sans raison, mais à exprimer au contraire les besoins divers par les aspects différents donnés aux bâtiments. La grand’salle, la chapelle, les logis, les cuisines, les défenses, les communs, adoptaient le caractère d’architecture propre à chacune de ces parties. De même que dans la cité tous les édifices étaient marqués au coin de leur destination propre, dans le château, chaque service possédait une physionomie particulière. Cela n’était pas conforme au goût des architectes du XVIIe siècle, mais c’était conforme au goût absolu, c’est-à-dire à la vérité et à la raison. Les anciens ne procédaient pas autrement, et les diverses parties qui composaient une villa romaine n’avaient pas de rapports symétriques entre elles.

Les maisons des particuliers, pendant le moyen âge, soit qu’elles occupassent une grande surface, soit qu’elles fussent petites, laissaient voir clairement, à l’extérieur, leur distribution intérieure. La salle, le lieu de réunion de la famille se distinguaient des chambres et des cabinets par l’ordonnance de ses baies ; les escaliers étaient visibles, en hors-d’œuvre le plus souvent, et si des étages étaient entre-solés, l’architecte ne coupait pas de grandes fenêtres par les planchers. Une façade en pans-de-bois ne se cachait pas sous un enduit simulant la pierre, et les détails étaient à l’échelle de l’habitant. Si des portiques protégeaient les passants, ils étaient assez bas et assez profonds pour les abriter en laissant une circulation facile sous leurs arcades. Avant de songer à faire d’une fontaine un point de vue, on croyait qu’elle était destinée à fournir de l’eau à tous ceux qui en avaient besoin. Avant de faire de l’entrée d’un établissement public une décoration monumentale, on trouvait convenable d’abriter sous un auvent les personnes qui frappaient à la porte. La tâche de l’architecte de goût était donc de donner à toute chose une apparence conforme à l’usage, quitte à appliquer la décoration que comportait chaque partie. L’architecture ne s’imposait pas, elle obéissait ; mais elle obéissait comme une personne libre, sans contrainte, sans abandonner ses principes, en mettant ses ressources et son savoir au service des besoins auxquels il fallait satisfaire, considérant, avant tout, ces besoins comme une question dominante.

Pour en revenir à des méthodes conformes au goût, nous avons donc quelque chose à faire, beaucoup à défaire ; nous avons à laisser de côté ce que des esprits peu indulgents considèrent comme le pédantisme d’école, une coterie arrivée à la puissance d’une oligarchie tyrannique ; nous avons à respecter le vrai, à repousser le mensonge, à lutter contre des habitudes déjà vieilles et considérées par cela même comme respectables ; nous avons encore à acquérir cette souplesse dans l’emploi des moyens mis à