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[perron]
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Le perron, comme nous l’avons vu déjà ci-dessus, est quelquefois un monument destiné à perpétuer une victoire. Tel est celui que Charlemagne fait élever à Trémoigne :

« An la cit de Tremoigne fist. i. perron lever
Large et gros et qarré an haut plus d’un esté ;
Sa victoire i fist metre, escrire et seeler,
A beles letres d’or dou meillor d’outre-mer ;
Ce fist-il que li Saisne s’i poïssent mirer ;
Sovantes foiz avoient telant de reveler[1]. »

Le perron était donc une marque de noblesse, un signe de puissance et de juridiction. Les communes élevaient des perrons devant leurs hôtels de ville, comme signe de leurs franchises ; aussi voyons-nous que lorsque Charles, duc de Bourgogne, a soumis le territoire de la ville de Liége, en 1467, pour punir les bourgeois de leur révolte, et comme marque de leur humiliation :

« Les turs, les murs, les portes,
Fist le duc mettre jus
Et toutes plaches fortes,
Encoire fist-il plus :
Car pour porter en Flandres
Fist hoster le perron,
Adfin que de leur esclandre
Puist estre mention[2]. »

Ce passage fait comprendre toute l’importance qu’on attachait au perron pendant le moyen âge, et comment ces degrés extérieurs étaient considérés comme la marque visible d’un pouvoir seigneurial. Le sire de Joinville rapporte qu’un jour allant au palais, il rencontra une charrette chargée de trois morts qu’on menait au roi. Un clerc avait tué ces trois hommes, lesquels étaient sergents du Châtelet et l’avaient dépouillé de ses vêtements. Sortant de sa chapelle, le roi « ala au perron pour veoir les mors, et demanda au prevost de Paris comment ce avoit esté. » Le fait éclairci, et le clerc ayant agi bravement, dans un cas de légitime défense : « Sire clerc, fist le roy, le rapport entendu, vous avez perdu a estre prestre par vostre proesce, et par vostre proesce je vous restieng à mes gages, et en venrez avec moy outre-mer. Et ceste chose vous foiz-je encore, pour ce que je veil bien que ma gent voient que je ne les soustendrai en nulles de leurs mauvestiés[3]. »

  1. La Chanson des Saxons, chap. CCXCVI.
  2. Chants populaires du temps de Charles VII et de Louis XI, publiés par M. Le Roux (de Lincy). Aubry, 1857.
  3. Mémoires du sire de Joinville, § 64.