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expression du métier. Aussi, après cette opération barbare, voit-on souvent des matériaux qui ne présentaient aucun signe d’altération, se décomposer rapidement à la surface, s’efflorer, puis se creuser, sans que la maladie qui les atteint puisse être arrêtée[1]. Les pierres tendres ne sont pas, d’ailleurs, les seules qui se recouvrent d’une patine résistante naturelle, étant fraîchement taillées. Des pierres dures, comme les liais, les cliquarts, présentent les mêmes phénomènes, et nous avons vu des liais en œuvre depuis cinq et six cents ans qui avaient pris à la surface une couverte à peine attaquable avec le ciseau, tandis qu’à un demi-centimètre de profondeur le calcaire se rayait avec l’ongle. Les pierres dites froides, comme celles des carrières de Château-Landon, par exemple, sont les seules qui ne perdent rien à être taillées longtemps après leur extraction. Quant aux grès, tout le monde sait qu’ils ne peuvent être taillés que fraîchement sortis de la carrière. Certains grès rouges des Vosges sont inattaquables à l’outil au bout de plusieurs années, bien qu’au sortir du sol ils soient maniables.

Il est une précaution qu’il est toujours bon de prendre lorsqu’on élève des édifices sans caves : c’est d’interposer sous un lit d’assise au-dessus du sol une couche d’une matière imperméable, comme du bitume ou un mastic gras, un papier fortement goudronné, un lit d’ardoises. Cette précaution arrête l’humidité qui remonte du sol dans les murs, et elle empêche les pierres de se salpêtrer. Tous les monuments du Poitou, beaucoup de ceux de la Vendée et de la Saintonge, présentent à 2 mètres environ au-dessus du sol, à l’extérieur, une zone profondément altérée par l’action des sels. Ceci prouve l’exactitude de l’observation faite précédemment, savoir, que les sels n’agissent sur les pierres calcaires que là où ils ne sont plus tenus en dissolution et où ils se cristallisent. En effet, les assises inférieures des murs, dans les monuments de ces contrées, tous bâtis avec un calcaire tendre et qui résiste parfaitement à l’action de l’air, sont imprégnées d’humidité, mais ne se décomposent pas ; ce n’est qu’à la hauteur où cesse l’action de capillarité, que la pierre, étant plus sèche, permet aux sels de se cristalliser, que commence la décomposition des parements extérieurs. Les maçons prétendent que cette décomposition, qui se produit par un vermiculage d’abord peu prononcé, puis très-profond à la longue, est produite par l’action de la lune. Le fait est que ce genre de décomposition ne se manifeste guère qu’à l’exposition du midi, un peu à l’est et à l’ouest, jamais au nord ; on comprend que la chaleur des rayons solaires hâte la cristallisation des sels au-dessus de la zone humide où ils sont tenus en dissolution. D’ailleurs

  1. Dans ce cas, la silicatisation bien faite est le seul moyen à employer pour rendre à la pierre cette couverte âpre et résistante qui en assure la durée. La silicatisation devrait toujours être employée lorsqu’on a eu l’idée malheureuse de gratter les parements des monuments, et même lorsque les ravalements sont faits après que la pierre a jeté son eau de carrière.