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le sire de Crèvecœur en 1254, le seigneur de Vicilon en 1269, et d’autres de cette même époque ; quelques-uns même contre le roi, pour des vols commis sur sa justice (1295). Toutefois cette responsabilité n’avait lieu que pour le jour et non pour la nuit. » Ceci explique comment tous les ponts du moyen âge sont munis de postes qui permettaient d’abord de percevoir le péage, puis de maintenir la police sur leur parcours et dans les environs. Beaucoup de ces tours et châtelets qui munissent les issues des ponts, et quelquefois leur milieu, sont donc de véritables corps de garde et bureaux de péage. Cependant, le plus habituellement, il faut voir dans ces logis de véritables défenses, si, par exemple, les ponts donnent accès dans des bourgs ou villes défendus. C’est ainsi que le vieux pont de Saintes, démoli aujourd’hui, mais que nous avons vu à peu près entier il y a vingt-cinq ans, formait, sur la Charente, un obstacle formidable, soit contre les bateaux arrivant avec une intention hostile, soit contre des partis se présentant par la rive droite. Ce pont était bâti sur des piles romaines, et présentait même encore sur l’une d’elles, vers la rive droite, une porte antique formant arc triomphal à deux ouvertures[1]. La vue, figure 4, donne une idée de la disposition générale de ce pont défendu par une suite d’ouvrages importants. D’abord, du côté du faubourg des Dames, situé sur la rive droite de la Charente, se présentait une première porte ; puis venait l’arc romain crénelé dans sa partie supérieure pendant le moyen âge ; puis, du côté de la ville, une tour à section ovale à travers laquelle il fallait passer[2] ; puis, enfin, la porte de la ville, flanquée de tourelles. De la porte sur le faubourg des Dames à l’arc antique, le pont était construit en bois, ainsi que de la grosse tour à la porte de la ville, de sorte que le tablier de ces fragments de pont pouvant être facilement enlevé, toute communication entre la ville et le faubourg, ou la ville et la grosse tour, était interrompue. Les arches du pont reconstruit au moyen âge sur des piles romaines étaient en tiers-point, et le tablier du pont peu relevé au centre. La grosse tour, non-seulement défendait le pont, mais commandait la porte de la ville en cas qu’elle fût tombée au pouvoir d’un ennemi débarquant sur la rive gauche, et dominait le cours du fleuve. Le parapet du pont était autrefois crénelé, afin de permettre à la garnison de la tour de barrer absolument la navigation. Ces défenses ne remontaient pas au delà de la fin du XIVe siècle. Quant au pont lui-même, il datait de plusieurs époques, autant que les reprises successives faites dans les arches permettaient de le reconnaître[3]. Le pont de Saintes, bien

  1. Cet arc de triomphe, déposé pièce à pièce, lorsque la démolition du pont fut définitivement résolue, a été remonté sur les bords mêmes du fleuve, par les soins de la commission des monuments historiques et sous la direction de M. Clerget, architecte.
  2. Cette tour, à la fin du XVIe siècle, servait de prison municipale.
  3. La grosse tour et la porte de la ville furent démolies après les guerres de religion, elles sont parfaitement indiquées dans une vue cavalière du Recueil de 1574 : Civitates orbis terr.