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domaine royal de 1160 à 1230 fut un peu calmée, on vit la peinture de sujets reparaître sur les surfaces intérieures des édifices, et l’on put reconnaître les pas immenses qu’elle avait faits dans l’observation attentive de la nature, dans la recherche du beau et dans l’exécution. Il faut bien le reconnaître toutefois, elle avait perdu beaucoup au point de vue du grand style, tel que l’antiquité l’avait compris ; elle penchait déjà vers la manière, l’exagération de l’expression ; le geste était toujours vrai, le dessin s’était épuré, mais la grandeur faisait place à la recherche d’une certaine grâce déjà coquette.

Villard de Honnecourt, qui vivait alors (de 1230 à 1270), nous a laissé, sur les méthodes des peintres de son temps, des renseignements précieux[1]. Les vignettes de ce manuscrit reproduites en fac-simile dans les planches xxxiv, xxxv, xxxvi et xxxvii, nous donnent certains procédés pratiques pour obtenir les attitudes et les gestes des figures, au moyen de combinaisons de lignes droites ou d’arcs de cercle et de figures géométriques ; nous nous bornerons à présenter ici un seul des exemples fournis, afin de faire saisir les méthodes sur lesquelles Villard s’appuie.

Voici (fig. 3) deux lutteurs que le dessinateur paraît vouloir montrer comme étant de forces égales[2]. Le procédé de tracé est celui-ci (fig. 4). Soit un triangle équilatéral ABC, dont la base AB, divisée en deux parties égales, donne deux autres triangles équilatéraux secondaires. La ligne d’axe DC étant prolongée, sur ce prolongement en E nous prenons un point, centre des arcs de cercle, FG, HI. Sur l’arc FG, ayant marqué deux points O, O, ces points sont les centres des arcs KL. Ainsi, les côtés du grand triangle équilatéral et les côtés des deux petits triangles nous donnent la direction des jambes des lutteurs ; les deux arcs FG, HI, le mouvement des genoux et des torses ; les arcs KL, la ligne des dos des deux figures. D’où s’ensuit la stabilité des personnages et la relation de leur attitude. Villard, qui n’est pas un peintre, mais un architecte, ne donne qu’un certain nombre de ces figures obtenues au moyen de tracés géométriques, et principalement de triangles ; mais il nous fait suffisamment connaître ainsi quelles étaient les méthodes pratiques employées par les imagiers ; méthodes qui obligeaient les artistes les plus médiocres

  1. Voyez l’Album de Villard de Honnecourt, ms. publ. en fac-simile, avec notes par Lassus, et commentaires par A. Darcel. Paris, 1858, chez Delion.
  2. Cette figure est copiée en fac-simile.