Page:Viollet-le-Duc - Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, 1854-1868, tome 9.djvu/449

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
[vitrail]
— 4460 —

gnant leurs œuvres, il était tout simple de ne pas tenir compte des enseignements qu’elles fournissent. Plutôt que d’y revenir, on a préféré admettre une bonne fois que les Français ne sont pas nés coloristes. On aime chez nous donner aux préjugés une sorte de consécration dogmatique, cela va bien à la paresse d’esprit ; c’est un arrêt fatal contre lequel nous nous persuadons aisément que notre volonté ou notre réflexion ne saurait réagir : les consciences se rassurent, ainsi on se dispense de tout effort. Il est bien certain que le sentiment et l’expérience de l’harmonie colorante sont perdus en France depuis plus de deux siècles, et les pâles tentatives faites de nos jours pour colorer l’architecture en sont une preuve sans réplique. N’est-ce pas, par exemple, se méprendre sur les conditions de l’harmonie colorante appliquée à l’architecture, que de supposer qu’on obtiendra un effet heureux en faisant intervenir le marbre comme élément de couleur au milieu d’une structure de pierre ? Le marbre, dont la tonalité est chaude et dure souvent, qui prend des reflets heurtés, ne peut s’allier aux tons légers et transparents de la pierre ; c’est pis encore si, avec le marbre, on emploie le métal aux lumières étincelantes. Alors la pierre perd à l’œil toute solidité, ses tons et ses formes mêmes s’émoussent, s’alourdissent. On voudrait la fouiller, redessiner ses arêtes, ses contours.

Aucun peuple ayant laissé des œuvres d’architecture recommandables n’est tombé dans une erreur aussi profonde. Les Grecs ont coloré le marbre blanc, qu’ils employaient à cause de la finesse de sa contexture ; mais ils l’ont coloré en totalité, et n’ont jamais tenté de placer des marbres de couleur à côté de marbre blanc, et surtout à côté d’une pierre calcaire. Les Romains, qui n’avaient pas d’ailleurs un sentiment bien élevé de l’harmonie, n’ont jamais employé les marbres de couleur simultanément avec la pierre laissée dans son état normal. Saint-Marc de Venise, qui présente extérieurement comme intérieurement une harmonie colorée d’un si heureux effet, est entièrement revêtu de plaques de marbre d’un ton très-fin, de mosaïques et de dorures ; de la pierre on ne voit pas trace. Les artistes du moyen âge ont admis la peinture à l’extérieur et à l’intérieur de leurs édifices ; mais la peinture n’a pas la rigidité du marbre ; on ne subit pas sa tonalité, on la cherche et on la trouve. Ils avaient, pour les intérieurs des grands vaisseaux, la peinture. La coloration des vitraux avait l’avantage de jeter sur les parois opaques un voile, un glacis colorant d’une extrême délicatesse, quand, bien entendu, les verrières étaient elles-mêmes d’une tonalité harmonieuse. Si les ressources dont ils disposaient ne leur permettaient pas d’adopter un ensemble de vitraux colorés, ou s’ils voulaient faire pénétrer d’une manière plus pure la lumière du jour dans les intérieurs, ils avaient adopté cette belle décoration des grisailles qui est encore une harmonie colorante obtenue à l’aide d’une longue expérience des effets de la lumière sur des surfaces translucides. Beaucoup de nos églises conservent des verrières en grisailles fermant soit