Page:Virgile - Énéide, traduction Guerle, 1825, livres I-VI.djvu/243

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pouvait tromper une ardeur qu’elle n’ose avouer ! Cependant les tours commencées n’exhaussent plus leur faîte : la jeunesse amollie laisse reposer ses armes : au port, sur les remparts, dans les arsenaux, tout languit, tout s’arrête : l’œil n’aperçoit au loin que des ouvrages interrompus, des pans énormes de murailles, encore imparfaites, et de vastes machines oisives dans la nue.

Mais l’épouse chérie de Jupiter a lu dans le cœur de la reine : elle y voit les ravages d’une passion funeste, et l’honneur vaincu par l’amour. Alors, s’adressant à Vénus, la fille de Saturne s’exprime en ces mots : « Ainsi vous l’emportez ! Quel noble avantage ! quel brillant trophée, déesse, et pour vous et pour votre fils ! Certes la gloire est grande, et la victoire mémorable : deux puissances du ciel ont triomphé d’une femme, et triomphé par la ruse ! Vos défiances me sont connues : vous avez craint des murs que je protége, et la superbe Carthage éveille vos soupçons. Mais quel terme auront vos alarmes ? et pourquoi tant de haine nous arme-t-elle encore ? Que ne jurons-nous plutôt une paix éternelle, cimentée par un heureux hymen ? Vos vœux les plus chers sont comblés : Didon brûle de tous vos feux, et son âme éperdue ne respire que vos fureurs. Hé bien ! régnons ensemble sur un peuple commun ; régissons Carthage et Pergame sous de communs auspices. Je consens que Didon subisse les lois d’un époux Phrygien ; vous, acceptez pour dot l’empire de Sidon. »

Par ce discours artificieux, Junon cherchait à fixer