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rablement[1]. L’aventure est instructive. Je vous le demande : est-ce bien voir cet âne que d’en tirer un croquis qui rivalise déjà d’exactitude avec la photographie ? Le verra-t-il mal celui qui s’efforcera d’exprimer par son dessin la résignation de l’animal souffre-douleur ?

Vous êtes positiviste[2], moi, je suppose, idéaliste. Tous deux nous nous plaçons en face de la nature. Nous avons les mêmes organes, les mêmes

  1. Topffer, Réflexions et menus propos d’un peintre genevois, livre 4, chap. V.
  2. J’écris à dessein positiviste et non naturaliste. Ce dernier mot en effet a été détourné si souvent de son sens étymologique par les littérateurs qu’on ne lui fait jamais exprimer tout ce qu’il contient. Au surplus, je me permets de déplorer le vague dans lequel flottent la plupart des termes destinés à servir de fanion à toute école littéraire ou philosophique. Par exemple qui est réaliste et qui ose avouer ne l’être pas ? Le mystique se dit non pas positiviste mais positif. Platon s’affirme réaliste, Berkeley aussi ; pourtant l’un est idéaliste, l’autre immatérialiste. Je vois bien en quoi Henri de Régnier diffère de Zola, et pourtant lequel des deux est plus réaliste ? On en est donc toujours réduit à se demander : qu’est-ce que le réel ? comme on se demande ce que signifie l’expression de nature bien vue. C’est avouer son impuissance à résoudre la plus petite équation littéraire sans formule métaphysique.

    Plus synthétiquement, je dirai qu’il n’existe qu’un seul système, le réalisme. De ce système chaque philosophe nous donne une traduction dans sa langue particulière, et ce réalisme devient l’idéalisme, le panthéisme, le matérialisme, le mysticisme et tout ce qu’on veut encore en isme.