Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/69

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augustes ont employé ce mode de simplification. La chaîne d’associations d’idées au long de laquelle court leur esprit, ils ne s’attardent pas à la dérouler à nos yeux, ils nous en montrent les deux bouts, cela leur suffit. Sans préparatifs, ils nous traînent vers les sommets ; à nous de refaire pour notre agrément le trajet pas à pas. D’un bond ils sautent dans l’absolu et leur âme éclate en chaque mot. C’est peut-être en ce sens qu’il faut entendre la parole d’Hello : « la pensée c’est l’explosion de la personne. » Le même disait : « Je résume pour faire resplendir. » Mallarmé, le poète par excellence, employa sa vie d’artiste probe à enfermer dans trois ou quatre œuvres très homogènes, comme en des vases d’un prix inestimable, la quintessence de son cœur. Il foule ses émotions jusqu’à ce que jaillisse l’huile essentielle, jusqu’à crier le cri ultime de la vie. Le trop plein de ses sentiments il le laisse se répandre sans l’endiguer ; les accords incessants échappés de son moi superficiel au contact des choses, il ne les écoute pas. Au travail de condensation intérieure qu’il fait subir au résidu de sa pensée nous demeurons étrangers. Ce qu’il nous offre, c’est la dernière pressée, d’où ruisselle, comme en un spasme, l’intuition intellectuelle ; le coup de hache suprême par quoi le fond de nous s’entr’ouvre soudain et se montre béant d’infini[1]. Semblables

  1. Rappelons cette curieuse page de Huysmans où l’auteur d’À Rebours étend au poème en prose ce procédé synthétique.