Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/71

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d’une âme, plonger dans les précipices de la conscience, soutenir l’éclat des firmaments éternels que bleutent les neiges immaculées de l’être. « Mais si, mais si », nous répond le poète, et nous le surprenons en train de souffler sur notre vie morose son souffle inspiré. La caresse spirituelle des mots nous libère, nous achemine au ravissement, vers celui-là même où plane l’artiste. Sous la poussée des sentiments frais-éclos, le charme opère, nous surgissons, hommes nouveaux, au-dessus des entraves des apparences. Notre âme s’influence ; active par réaction, elle est agie ; celle du poète suggestionne et s’impose dans ce qu’elle a d’original et de quasi incommunicable. Chaque vers pris à part semble impuissant à nous mouvoir dans le sens cherché. « Un grain de poussière tombant sur une bascule ne produit pas la moindre oscillation. Un choc trop léger sur une matière explosible ne détermine aucun commencement d’explosion[1]. » Mais une poésie considérée dans son ensemble, en tant qu’elle constitue un tout indécomposable qui s’offre le portrait fugace d’une âme, crée une ambiance, imprime une direction, nous fait converger au point où nous devons coïncider avec l’esprit du poète. Une manière de logique du cœur s’est substituée à cette logique formelle impuissante à contenir le bouillonnement profond de nos pensées intimes, et la certitude morale que dégage celle-là passe de beaucoup

  1. E. Rabier. Leçons de philosophie, p. 67.