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d’âme correspondant, serrer jusqu’au contact la sensation. Ah ! pour lui, les vocables s’illuminent d’un véritable pouvoir métaphysique en corrélation intime avec le sentiment intérieur à objectiver. Le mot veut et doit être plus qu’un moyen d’expression, une fin en soi. Il s’identifie à la pensée. Parce que les savants et le vulgaire ne recherchent en lui qu’un sens de convention, une étiquette commode qui simplifie et empêche de réfléchir[1], — le vrai poète ne s’adjuge pas le droit d’en ignorer l’âme[2]. Il sait

  1. « L’homme pratique, l’homme positif ne voient dans les mots que les choses qu’ils représentent. Pareillement le savant. Il invente un système de notations arbitraires, qui sont comme les leviers par où l’activité humaine plonge dans les choses et, avec une force centuplée, les plie à ses desseins. Entre le signe et la chose signifiée, entre le contenant et le contenu il n’y a ici aucune adhérence organique, aucune sympathie magique. » Spenlé, Novalis, Essai sur l’idéalisme romantique en Allemagne, p. 160.
  2. Guy de Maupassant dit quelque part : « Les mots ont une âme. La plupart des lecteurs et même des écrivains ne leur demandent qu’un sens. Il faut trouver cette âme, qui apparaît au contact d’autres mots, qui éclate et éclaire certains livres d’une lumière inconnue, bien difficile à faire jaillir. Il y a dans les rapprochements et les combinaisons de la langue écrite par certains hommes, toute l’évocation d’un monde poétique que le peuple des mondains ne sait plus apercevoir ni deviner. Quand on lui parle de cela, il se fâche, raisonne, argumente, nie, crie et veut qu’on lui montre. Il serait inutile d’essayer. Ne sentant pas, il ne comprendra jamais. Des hommes instruits, intelligents, écrivains même, s’étonnent aussi quand on leur parle de ce mystère qu’ils ignorent ; et ils sourient en haussant les