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M’accusera-t-on d’insincérité pour n’avoir employé qu’une seule fois le vers libéré ? Je prie qu’on veuille bien me pardonner mon air timide et mon inexpérience. Il est besoin d’une telle délicatesse de doigté pour manier les rythmes polymorphes, que malgré de longues études musicales, je me déclare incapable de jouer sans faute la symphonie que j’ai dans l’âme : cette âme même est à ce point fluette, que j’ai pu sans difficulté la faire tenir en douze pieds.

Et maintenant, avec mes Paysages introspectifs, je remets mon âme aux mains du lecteur. La critique, comme l’esprit, souffle où elle veut. Ceux-là seulement me goûteront qui voudront bien dans le silence d’eux-mêmes laisser parler leur cœur et l’abandonner à l’emprise des évocations chères. Comprendre une œuvre, c’est la recréer par sympathie. La suggestive attirance opère le miracle de rapprocher les esprits, et le meilleur moyen d’assurer son triomphe ne consiste-t-il pas à imiter Mozart bambin qui, lorsqu’on lui demandait d’exécuter sur son violon une sonate de sa composition, faisait d’abord le tour de l’assemblée et, s’inclinant devant chaque personne, lui demandait gentiment « m’aimez-vous ? »

Tancrède de Visan
Lyon-Paris 1904.