Page:Vogüé - Regards historiques et littéraires - 1900.djvu/316

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claires étoiles dans les profondeurs de la nuit. — Admire-les et tais-toi.

« Le cœur peut-il s’expliquer ? — Un autre peut-il te comprendre ? — Comprendra-t-il de quoi tu vis ? — La pensée exprimée est déjà un mensonge. — En faisant jaillir la source, tu la troubles ; — bois-y longuement et tais-toi.

« Sache vivre en toi-même ; — il y a dans ton âme tout un monde — de pensées mystérieuses, enchantées ; — le bruit du dehors les étoufferait, — les rayons du jour les aveugleraient. — Prête l’oreille à leur musique et tais-toi. »


Quand Tutchef n’aurait écrit que ce vers : « La pensée exprimée est déjà un mensonge », il mériterait, ce me semble, une place parmi les poètes philosophiques les plus subtils. L’avenir la lui fera. Son mètre, tout d’une venue , est harmonieux, négligé quelquefois ; il n’y faut pas chercher les coupes savantes, la maîtrise du joaillier ; ce n’est pas un artiste impeccable, comme on dit -aujourd’hui. Mais, en poésie et ailleurs, si l’humanité admire avec respect les impeccables, elle aime plus facilement ceux ou celles qui ont péché. Elle les sent plus près. On se retournera quelquefois vers cet esprit énigmatique ; on le verra de loin plus mystérieux encore dans le crépuscule où il se plait, chassé par le vent du soir au bord des grandes ombres et des grandes eaux ;