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LES RUINES.

tempérées ; le corps grêle de l’Arabe à l’ample corps du Hollandais ; la taille épaisse et courte du Samoyède à la taille svelte du Grec et de l’Esclavon ; la laine grasse et noire du Nègre à la soie dorée du Danois ; la face aplatie du Calmonque, ses petits yeux en angle, son nez écrasé, à la face ovale et saillante, aux grands yeux bleus, au nez aquilin du Circassien et de l’Abasan. J’opposais aux toiles peintes de l’Indien, aux étoffes savantes de l’Européen, aux riches fourrures du Sibérien, les pagnes d’écorce, les tissus de jonc, de feuilles, de plumes, des nations sauvages, et les ligures bleuâtres de serpents, de fleurs et d’étoiles dont leur peau était imprimée. Et tantôt le tableau bigarré de cette multitude me retraçait les prairies émaillées du Nil et de l’Euphrate, lorsqu’après les pluies ou le débordement, des millions de fleurs naissent de toutes parts ; tantôt il me représentait, par son murmure et son mouvement, les essaims innombrables de sauterelles qui, du désert, viennent au printemps couvrir les plaines du Hauran.

Et, à la vue de tant d’êtres animés et sensibles, embrassant tout à coup l’immensité des pensées et des sensations rassemblées dans cet espace ; d’autre part, réfléchissant à l’opposition de tant de préjugés, de tant d’opinions, au choc de tant de passions d’hommes si mobiles, je flottais entre l’étonnement, l’admiration et une crainte secrète…