Page:Volney - Les Ruines, 1826.djvu/70

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comme le prouve l’histoire de l’espèce. Dans l’enfance des nations, quand leshommes vivaient encore dans les forêts, soumis tous aux mêmes besoins, doués tous des mêmes facultés, ils étaient tous presque égaux en forces ; et cette égalité fut une circonstance féconde en avantages dans la composition des sociétés : par elle, chaque individu se trouvant indépendant de tout autre, nul ne fut l’esclave d’autrui, nul n’avait l’idée d’être maître. L’homme novice ne connaissait ni servitude ni tyrannie ; muni de moyens suffisans à son être, il n’imaginait pas d’en emprunter d’étrangers. Ne devant rien, n’exigeant rien, il jugeait des droits d’autrui par les siens, et il se faisait des idées exactes de justice : ignorant d’ailleurs l’art des jouissances, il ne savait produire que le nécessaire ; et faute de superflu, la cupidité restait assoupie : que si elle osait s’éveiller, l’homme attaqué dans ses vrais besoins, lui résistait avec énergie, et la seule opinion de cette résistance entretenait un heureux équilibre. Ainsi, l’égalité originelle, à défaut de convention, maintenait la liberté des personnes, la sureté des propriétés, et produisait les bonnes mœurs et l’ordre. Chacun travaillait par soi et pour soi ; et le cœur de l’homme occupé, n’errait point en desirs coupables : l’homme avait peu de jouissances, mais ses besoins étaient satisfaits ; et comme la nature indulgente les fit moins étendus que ses forces, le travail de ses mains produisit