Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/276

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Cunégonde lui demanda un quart d’heure pour se recueillir, pour consulter la vieille, et pour se déterminer.

La vieille dit à Cunégonde : Mademoiselle, vous avez soixante et douze quartiers et pas une obole ; il ne tient qu’à vous d’être la femme du plus grand seigneur de l’Amérique méridionale,qui a une très belle moustache ; est-ce à vous de vous piquer d’une fidélité à toute épreuve ? Vous avez été violée par les Bulgares ; un Juif et un inquisiteur ont eu vos bonnes grâces : les malheurs donnent des droits. J’avoue que si j’étais à votre place, je ne ferais aucun scrupule d’épouser monsieur le gouverneur, et de faire la fortune de monsieur le capitaine Candide. Tandis que la vieille parlait avec toute la prudence que l’âge et l’expérience donnent, on vit entrer dans le port un petit vaisseau ; il portait un alcade et des alguazils, et voici ce qui était arrivé.

La vieille avait très bien deviné que ce fut un cordelier à la grande manche qui vola l’argent et les bijoux de Cunégonde dans la ville de Badajos, lorsqu’elle fuyait en hâte avec Candide. Ce moine voulut vendre quelques unes des pierreries à un joaillier. Le marchand les reconnut pour celles du grand-inquisiteur. Le cordelier, avant d’être pendu, avoua qu’il les avait volées : il indiqua les personnes, et la route qu’elles prenaient. La fuite de Cunégonde et de Candide était déjà connue. On les suivit à Cadix : on envoya, sans perdre de temps, un vaisseau à leur poursuite. Le vaisseau était déjà dans le port de Buénos-Ayres. Le bruit se répandit qu’un alcade allait débarquer, et qu’on poursuivait les meurtriers de monseigneur le