Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/315

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Candide guérit ; et pendant sa convalescence il eut très bonne compagnie à souper chez lui. On jouait gros jeu. Candide était tout étonné que jamais les as ne lui vinssent ; et Martin ne s’en étonnait pas.

Parmi ceux qui lui faisaient les honneurs de la ville, il y avait un petit abbé périgourdin, l’un de ces gens empressés, toujours alertes, toujours serviables, effrontés, caressants, accommodants, qui guettent les étrangers à leur passage, leur content l’histoire scandaleuse de la ville, et leur offrent des plaisirs à tout prix. Celui-ci mena d’abord Candide et Martin à la comédie. On y jouait une tragédie nouvelle. Candide se trouva placé auprès de quelques beaux esprits. Cela ne l’empêcha pas de pleurer à des scènes jouées parfaitement. Un des raisonneurs qui étaient à ses côtés lui dit dans un entr’acte : Vous avez grand tort de pleurer, cette actrice est fort mauvaise ; l’acteur qui joue avec elle est plus mauvais acteur encore ; la pièce est encore plus mauvaise que les acteurs ; l’auteur ne sait pas un mot d’arabe, et cependant la scène est en Arabie[1] ; et, de plus, c’est un homme qui ne croit pas aux idées innées ; je vous apporterai demain

  1. La Grange Chancel adressa à Voltaire, en 1718, une Épitre à M.Arouet de Voltaire, dans laquelle on trouve ces vers : Que ton exactitude à dépeindre les mœurs S’étende jusqu’aux noms de tes moindres acteurs, Et qu’en les prononçant ils nous fassent connaître Les pays et les temps où tu les fais renaître. Je vois avec dépit, pour ne produire rien, Chez le Thébain Œdipe, Hidaspe l’Indien. Voltaire profita de la critique, et mit Araspe au lieu de Hidaspe. C’est peut-être à ces vers de La Grange Chancel que Voltaire fait ici allusion. B.