Page:Voltaire - Œuvres complètes, Beuchot, Tome 33, 1829.djvu/325

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dit-il, ces deux étrangers suspects ? Il les fait incontinent saisir, et ordonne à ses braves de les traîner en prison. Ce n’est pas ainsi qu’on traite les voyageurs dans Eldorado, dit Candide. Je suis plus manichéen que jamais, dit Martin. Mais, monsieur, où nous menez-vous ? dit Candide. Dans un cul de basse-fosse, dit l’exempt.

Martin, ayant repris son sang froid, jugea que la dame qui se prétendait Cunégonde était une friponne, monsieur l’abbé périgourdin un fripon, qui avait abusé au plus vite de l’innocence de Candide, et l’exempt un autre fripon dont on pouvait aisément se débarrasser.

Plutôt que de s’exposer aux procédures de la justice, Candide, éclairé par son conseil, et d’ailleurs toujours impatient de revoir la véritable Cunégonde, propose à l’exempt trois petits diamants d’environ trois mille pistoles chacun. Ah ! monsieur, lui dit l’homme au bâton d’ivoire, eussiez-vous commis tous les crimes imaginables, vous êtes le plus honnête homme du monde ; trois diamants ! chacun de trois mille pistoles ! Monsieur ! je me ferais tuer pour vous, au lieu de vous mener dans un cachot. On arrête tous les étrangers, mais laissez-moi faire ; j’ai un frère à Dieppe en Normandie ; je vais vous y mener ; et si vous avez quelque diamant à lui donner, il aura soin de vous comme moi-même.

Et pourquoi arrête-t-on tous les étrangers ? dit Candide. L’abbé périgourdin prit alors la parole, et dit : C’est parcequ’un gueux du pays d’Atrébatie[1] a entendu dire des sottises ; cela seul lui a fait commettre un parricide,

  1. Artois. Damiens était né à Arras, capitale de l’Artois. K. —-L’attentat de Damiens est du 5 janvier 1757 : voyez, tome XXI, le chapitre XXXVII du _Précis du Siècle de Louis XV_ ; et tome XXII, page 339. B.